Exodus – Un péplum biblique qui doute de lui-même

On connaît Ridley Scott et son penchant à revisiter les mythes et les mythologies avec un goût très prononcé pour la reconstitution historique (souvent époustouflante) : Gladiator nous immerge dans l’Empire romain, Kingdom of Heaven nous fait côtoyer les Croisés partis défendre la Terre sainte contre les armées de Saladin, Robin des Bois nous donne à voir la genèse du héros de la forêt de Sherwood et Prometheus explore les origines de l’humanité tout en servant de préquel à la saga Alien. Avec Exodus, Ridley Scott propose sa lecture de l’Ancien Testament, il rouvre le Livre de l’Exode, reprend le film de Cecil B. DeMille, Les 10 commandements, secoue le tout en prenant bien soin d’ajouter tous les éléments permis par le numérique afin d’obtenir un film visuellement très efficace.

Un réalisme ahurissant

La première partie du film concerne le Moïse-général égyptien que l’on suit à la cour de Séthi 1er et sur le champ de bataille. Ridley Scott étale sa science du cadre et de la composition de plans : on s’élève au-dessus du palais, du Nil, de Memphis pour ensuite surplomber la ville en une grandiose plongée. On assiste également à une bataille de l’intérieur grâce à une caméra embarquée sur les chars, au plus près de la mêlée. Le film n’est pas uniquement coloré par l’épopée, il aborde également la question de l’esclavage des Hébreux. L’œil se veut compatissant, la luminosité diminue, la fumée et la poussière obscurcissent le plan, la masse grouille, les ordres et les coups de fouet fusent. La dichotomie initiale est placée : il y a d’un côté les Egyptiens qui ont le pouvoir, qui vivent dans le faste et de l’autre les Hébreux qui malgré leur nombre supérieur, triment, vivent dans la misère et sont opprimés.

Puis vient le moment de Moïse-berger qui découvre sa véritable nature : il est Hébreu et donc contraint à l’exil. C’est dans cet exil qu’il rencontre Dieu. Dieu, pour le réalisateur, s’incarne, d’ailleurs, dans le corps d’un petit enfant, colérique et mystérieux. Dans son souci de réalisme, Ridley Scott n’omet pas les principaux détails mentionnés par le Livre de l’Exode. Ainsi, Moïse exilé se retrouve à Madian où il épouse Séphora. Ils vivent leur amour entourés de moutons. Il s’écoule 9 ans de rusticité avant que Dieu ne se manifeste et fasse de Moïse son intermédiaire sur Terre. C’est le fameux épisode du buisson ardent où Dieu, ce petit garçon malicieux et plein de surprise, exhorte Moïse à libérer le peuple hébreu. Le berger abandonne alors sa famille et quitte son dénuement pour rejoindre les siens qui souffrent sous le joug de Ramsès le Grand. Moïse échoue à convaincre Pharaon qu’il menace de terribles fléaux. Ridley Scott s’attache à représenter au mieux les dix plaies d’Egypte. Sur son siège, le spectateur reste ébahi face aux eaux du Nil qui deviennent sang, à la pluie de grêle qui s’abat, à l’invasion de sauterelles et la mort des premier-nés d’Egypte. Le film s’achève sur l’exode dans le désert où Moïse peine à se faire respecter de tous et les 10 commandements qui se gravent dans la pierre sous la dictée de Dieu. Cette volonté réaliste démystifie tous ces événements divins en en faisant de simples intempéries, en proposant des explications naturelles. Ainsi, la traversée de la Mer Rouge où Moïse fend les eaux grâce à son bâton se matérialise par un phénomène de marée.

Une dialectique bien menée

Le film ne sombre ni dans un manichéisme brouillon avec d’un côté les très vilains Egyptiens et de l’autre les braves Hébreux, ni dans une lutte fratricide primaire. Au contraire, la complexité des personnages est au cœur de ce péplum que l’on pourrait presque qualifier de psychologique tant il nous est donné à voir le tiraillement des personnages, les forces contraires qui les habitent, qui les façonnent et les font avancer. On peut noter, à cet égard, la belle performance de Christian Bale qui incarne Moïse. Sa quête est à la fois personnelle et mystique. C’est en trouvant son identité, en revenant à ses origines qu’il pourra répondre à ses visions, à sa mission émancipatrice. On perçoit une forte ambivalence entre la raison et la foi et ce dès la première scène du film : Moïse est un sceptique. Il semble ensuite ne pas vouloir accepter la mission qui lui incombe, il ne se sent pas Hébreu, il n’est certes plus général mais il a refait sa vie à Madian et se sent épanoui dans sa vie d’homme et de père de famille. Il se met pourtant en route et se mue en l’intermédiaire de Dieu. Son incompréhension quant au bien fondé de sa mission règne. Il a constamment peur d’échouer et ce en dépit de sa position messianique. Il craint de ne pas saisir clairement le message de Dieu, de ne pas lui être fidèle. Il se demande si, parfois, Dieu ne l’a pas abandonné. Mais Moïse n’en est pas moins humain et ce qui l’effraie le plus c’est de se perdre lui-même. Pour sauver son peuple, il doit combattre les siens : ceux avec qui il a grandi, les Egyptiens, il doit également quitter ceux qu’il aime : sa famille et son foyer. Exodus est un film qui se veut relativement lisse, loin de toute polémique dans un contexte où les extrémismes sont de plus en plus prégnants et c’est sans doute là que le bât blesse. Il s’agit avant tout d’un péplum critique qui nous enseigne à craindre la foi déraisonnée, les discours aveugles, extrémistes mais qui, par conséquent, devient presque anachronique (le personnage principal est quand même le premier prophète !). A force d’hésiter, de se questionner sur le bien et le mal de sa mission, entre justicier et richissime général, Moïse apparaît  comme un Batman pré-Jésus Christ.

Des thèmes récurrents dans l’œuvre de Scott

Le film, par les thèmes abordés, ne brille pas d’un somptueux éclat original. Vous l’aurez compris, par instant, on s’attend à voir surgir Alfred pour aider Christian Bale-Batman-Moïse à se préparer et à mener la révolte contre l’oppresseur égyptien. Puis, à d’autres moments, on imagine que Moïse va rencontrer un autre grand général déchu : Maximus Decimus Meridius-Russell Crowe. Les deux sont les préférés du César et du Pharaon, ils apparaissent plus aptes à régner que les héritiers avec qui ils ont grandi. Mais ils se retrouvent exilé par ce même frère. Ainsi mis au ban de la société, ils partent de rien mais mobilisent tout ce qui est en leur pouvoir (éloquence, science des armes) pour faire trembler les puissants et parvenir au sommet. Il en va pratiquement de même avec Kingdom of Heaven : on suit l’ascension pleine de testostérone d’un jeune forgeron qui gagne du galon en allant combattre en terre sainte. Le contexte religieux doit aussi être étudié car on ne peut pas regarder ce film sans penser aux conflits religieux qui persistent au Moyen-Orient. Le Canard Enchaîné nous apprend d’ailleurs qu’Exodus ne sera pas diffusé dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb. La censure a frappé et brandit des « erreurs historiques » et invoque « une vision sioniste de l‘Histoire » pour se justifier. Le ministre de la culture égyptien ne tolère pas que Ridley Scott fasse des Hébreux les bâtisseurs des pyramides. Certes le récit peut paraître inabouti en ce qu’il se limite à une juxtaposition d’événements bibliques, de questionnements intérieurs, le tout s’enchaînant avec monotonie mais il serait injuste de s’en prendre au scénario qui est issue d’une histoire vieille comme le monde. Exodus n’en reste pas moins une totale réussite visuelle. L’Egypte retranscrite correspond à nos attentes et à notre imaginaire commun : édification des pyramides, embaumement, culte aux dieux, pharaon et puissance. Le combat de Moïse contre ce faste n’en est que plus glorieux et son entreprise que plus courageuse.

Jules Pouriel

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