Projection n°1: “THE KING OF COMEDY”, Michael Scorsese.

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C’est vers Scorsese que nous nous sommes tournés pour notre première projection de la rentrée 2013, avec The King of Comedy (La Valse des Pantins en version française) et la filière média à l’honneur.

Quelques pistes de réflexion ont été amenées par trois membres du CelsaProd (Lucie Detrain, Matthieu Parlons et Guillemette Pinon) et complétées par M. Olivier Aïm :

  • Le fanatisme et l’illusion de proximité créée par les médias. La relation entre Jerry et Rupert emprunte aux codes amoureux : fantasmes de la première rencontre idéale, l’attente du coup de téléphone. Jerry est présenté comme une idole, souvent muette, symboliquement momifiée lors de son kidnapping. Rupert détient deux objets fétichisés appartenant à Jerry : ses bonbons, et son mouchoir avec ses initiales gravées. Le discours d’un fan se transforme presque en fragments d’un discours amoureux. Rupert ne ressent pas vraiment de complexe d’infériorité, mais plutôt de supériorité, qui se transforme peu à peu en complexe d’égalité : il s’agit idéalement de remplacer Jerry, et même devenir mieux que lui. 2 figures du fan s’opposent ainsi : la fan hystérique et érotisée, représentée par Masha contre l’adulation de Rupert, qui cependant ne semble pas aimer Jerry mais plutôt la place qu’il occupe en tant que symbole de son fantasme et de son ambition absolue. Dans chacun de ses rêves, c’est avant tout lui même qui est valorisé alors que Jerry de son côté est relégué au rôle d’une idole figée, symboliquement momifiée lors du kidnapping, tel une araignée attrapant un insecte, sa proie ; mais aussi telle une relique qu’on préserve sacrée en l’entourant de rubans. A l’inverse, Rupert peut être le symbole de la télévision, qui parle en continu sans jamais s’arrêter, quitte à ce que la conversation devienne entièrement phatique, c’est-à-dire simplement destinée à créer un lien. Rupert est d’ailleurs toujours au centre des plans fixes et larges, de type télévisuels. On peut avancer, comme Chloé l’a fait, une sorte de quête psychanalytique et cathartique pour Rupert par le rire, lui qui a eu une enfance douloureuse.
  • L’omniprésence du fantasme (5 scènes de fantasme qu’on peut repérer a priori) semble mêler peu à peu le vrai et le faux (exemple de la scène à la campagne, où on pense au début qu’il s’agit d’un fantasme alors que Rupert s’immisce vraiment chez son idole). Pourtant, le système médiatique autorise la réalisation d’une telle absurdité puisque Rupert finit sur scène. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que l’acteur Jerry Lewis joue presque son propre rôle (célébrité de la TV qui a créé l’équivalent américain du Téléthon).
  • Quelle réaction du public face à cet humoriste raté et inapte socialement ? On hésite constamment entre rire et gêne (cf. scène emblématique et triste où Rupert se retrouve devant une photographie d’un public qui rie, face à lui, seul), nous sommes à la fois exaspérés et saisis de pitié pour ce personnage. 2 visions du publics sont d’ailleurs proposées dans le film : d’une part se détachent de la horde de fans de la première scène des individualités (Masha et Rupert), dont on connaît les visages et la tenacité. D’autre part, il y a le public quantitatif, tel que Rupert l’imagine, désincarné et seulement présent à travers ses applaudissements et ses rires lointains, presque abstraits.
  • Quelle image des médias est finalement véhiculée ? Le producteur tente toujours de contrôler le discours médiatique, en luttant contre l’obscène, le terrorisme (quitte à oublier que Jerry est pris en otage?). On peut s’interroger sur l’influence des perversions médiatiques : rit-on, finalement, de Rupert parce qu’il est annoncé comme humoriste dans le contexte d’un one-man-show ou par pur mimétisme ? Cette question se pose pour le public intradiégétique, mais aussi pour nous. M. Olivier Aïm rappelle que la télévision crée une relation aptique, c’est-à-dire qu’elle crée un désir de contact, de toucher, accentuant l’aspect fétichiste d’une telle relation, ici symbolisé dans la longue image fixe des mains de Masha sur la vitre de la voiture de Jerry. Le titre français La valse des pantins nous interroge : qui sont ces pantins ? Le public ? Les fans ? Ou les célébrités en proie à l’opinion publique capricieuse ?
  • Mises en parallèle avec d’autres films : Vidéodrome de Cronenberg (projection à venir), Reality de Matteo Garrone.

Questions irrésolues et hypothèses interprétatives:

  • Quel type d’humour ? De l’ordre de la farce (dédramatisation évidente de la prise d’otage), peut être aussi de la satyre ? Pupkin veut se faire un nom, mais son nom est précisément l’objet de toutes les railleries, et donc impossible à retenir.
  • Quelle est l’utilité de l’objet dérobé par Rita, de passage dans la maison de campagne de Jerry ? S’agit-il, à la manière d’Inception (postérieur), de garder une trace, s’assurer que nous sommes bien dans la réalité ? Assiste-t-on tous à un grand sketch, un grand délire ? (hypothèse de M. Aïm)
  • Rupert est-il vraiment drôle ? Durant tout le film, on observe une stratégie d’évitement qui consiste à ne jamais dévoiler les sketchs de Rupert, de telle sorte que nous ne savons si sa quête de gloire est légitime ou non. Si on s’accorde sur le fait que Rupert est drôle, cela accentue la critique du système médiatique, qui n’a su reconnaître en lui un réel talent.
  • Quelle actualité du film ? Le fanatisme est toujours répandu, mais il ne se concentre pas vraiment autour d’animateurs de la télévision. Les réseaux sociaux créent l’illusion d’une distance amoindrie en facilitant le dialogue, mais les liens restent très limités. L’image de la star esseulée, face à des fans bien entourés est, elle, très actuelle. Dans la construction en miroir de la vie de Jerry et de Rupert, ce dernier semble le plus heureux.

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