Gros plan sur Gérardmer : un festival vraiment fantastique

Avis aux sadiques, aux curieux et aux cinéphiles, le festival de Gérardmer a ouvert ses portes à tous les passionnés de cinéma fantastique entre le mercredi 24 et le dimanche 28 janvier 2024.

Envoyée très spéciale pour Cinépsis, j’ai pu profiter de séances effrayantes et de moments aussi farfelus qu’inoubliables lors de ce week-end en Lorraine, loin de la banalité parisienne. Ainsi je vous propose un retour sur les longs-métrages devant lesquels j’ai eu la chance de frissonner, ainsi que sur ce festival horrifique historique.

Le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer prend place depuis 31 ans dans les Vosges et propose des projections variées : longs métrages, courts métrages, mais aussi des animations à la médiathèque de la ville, ainsi que des conférences et autres activités. Le thème de cette année tournait autour des films de vampires, pour lesquels a été consacrée une soirée rétrospective. Le comité a également tenu à porter un hommage à la littérature de science-fiction, avec le choix d’auteurs renommés en tant que présidents du jury longs métrages : Bernard Werber et Bernard Minier. France Culture enregistrait également son émission Mauvais Genres en public à l’occasion de l’évènement.

Dans la sélection en compétition de 10 films j’ai pu assister à 3 séances : Sleep de Jason Yu (Grand Prix), En attendant la nuit de Céline Rouzet (prix du Jury), When evil lurks de Demian Rugna (Prix du public et de la critique), ainsi que les 5 courts métrages nominés.

Sleep, Jason Yu (2023)

Y’a-t-il pire situation que de se sentir menacé par la personne que l’on aime le plus, rendue incontrôlable malgré sa propre volonté ?

Sleep est la première comédie horrifique du réalisateur sud-coréen Jason Yu, qui signe un film court (1h35), efficace et narré avec maîtrise. La scène d’exposition nous présente un couple heureux, dont les personnages sont immédiatement terriblement attachants. Pour une fois dans mon existence de passionnée de genre, j’avais envie de protéger ces personnages. Ici la relation semble si authentique qu’il est difficile de ne pas s’attacher, et cette authenticité créé des décalages amusants lorsque les personnages sont dépassés par la situation délicate à laquelle ils se trouvent confrontés. Millimétrés, les plans sont propres et rangés comme un magasin Muji, et servent cette histoire de désordre dans un univers en apparence parfait et aux protagonistes réalistes. Les moments de tension jouent à merveille sur la problématique inédite du trouble du sommeil : la menace est imprévisible. Par-dessus tout, le twist final rend le message tendre-amer, sur la volonté de protéger ce précieux cocon familial en péril.

En attendant la nuit, Céline Rouzet (2023)

Le vampire adolescent peut sembler être un poncif bien connu des fans de cinéma de genre, il est pourtant revisité avec maestria par Céline Rouzet dans En attendant la nuit. La sensibilité française de ce film de genre fait penser à celle du Règne Animal sorti plus tôt dans l’année, avec une famille étrangement réelle, et un récit qui a parfois quelque chose de poétique, comme son titre original. Dans le décor un peu surfait des années 80, Céline Rouzet nous propose l’histoire troublante d’un garçon né vampire et les difficultés rencontrées par sa famille lors de leur déménagement dans un nouveau village. Peines adolescentes, premier amour, douleur d’être soi et transformation, malgré la simplicité de son propos la réalisatrice propose un point de vue justement raconté. On sent que Céline Rouzet aime ses personnages, et le conflit final a quelque chose de l’ordre du conte, du village de la Belle qui veut tuer la bête. Également mention spéciale à Mathias Legout Hammond, dans le rôle de Philémon et qui colle brillamment au personnage.

When Evil Lurks, Demian Rugna (2023)

Quelle claque! Quelle jouissance! When evil lurks a décoiffé la petite salle du Paradiso avec son rythme effréné et ses effets gores parfaitement réussis. Film présenté par le réalisateur argentin Demian Rugna, il fût pour moi la surprise de ce festival. D’ordinaire peu sensible aux histoires de malédiction, j’ai été complétement saisie par cet univers haut en couleurs, aux personnages complexes et marquants. Le personnage principal, vrai anti-héros, m’a particulièrement marquée et le tragique des situations qui s’enchaînent a quelque chose de presque comique qui ne cesse de créer la surprise. Montage rythmé, aucun moment d’ennui, scènes mémorables, bref, un sans-faute.

En ce qui concerne la sélection hors compétition, j’ai pu voir Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize, Concrete Utopia de Um Tae-hwa et Destroy all Neighbors de Josh Forbes.

Destroy All Neighbors, Josh Forbes (2023)

Seule déception de ce festival, l’humour la comédie horrifique de Josh Forbes n’a malheureusement pas fait mouche chez moi. Les gags un peu gras, très américains n’ont pas su particulièrement marquer mon esprit, et le film m’a semblé bien trop long pour son récit. Même si j’ai apprécié le côté un peu geek assumé sur l’idée du rock alternatif, qui m’a fait penser à des figures comme Chester Bennington ou encore au Scott Pilgrim VS the world de Edgar Wright, j’ai trouvé que le film ne laissait pas suffisamment de place a cette part de l’histoire. L’acteur principal William Brown m’a semblé proposer un jeu très YouTubesque qui m’a agacée au bout d’une demi-heure de film. Enfin, la mise en scène colorée et épileptique m’a fait penser aux formats Netflix et m’a laissée sur la touche. Peut-être est-ce lié au fait que le film soit produit par la plateforme Shudder (maman de notre bébé français Shadowz), mais j’ai eu la sensation de regarder une vidéo d’internet un peu décalée plus qu’une proposition de cinéma pertinente.

Concrete Utopia,Um Tae-hwa (2023)

Dystopie sud-coréenne qui aborde le thème de l’organisation humaine, du danger du pouvoir autocratique et du conflit pour la survie, Concrete Utopia est le film le plus long de cette sélection, avec ses 2h16 qui contrastent avec la plupart des autres métrages présentés au festival (dont la moyenne de durée tournait plutôt autour d’1h40). Le film raconte l’histoire d’un monde postapocalyptique dans lequel seule une résidence est restée debout. Les habitants choisissent alors naturellement de préserver leur privilège de résident, en excluant les non-résidents des appartements, et en mettant en place un régime autocratique autour d’un leader choisi parmi eux. Le film soulève des problématiques intéressantes, pas toujours avec une grande finesse, mais reste assez divertissant malgré quelques longueurs.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant,Ariane Louis-Seize (2024)

Grève du sang pour Sasha. Véritable coup de cœur de la sélection, la réalisatrice québécoise a fait extrêmement bonne première impression. Le film est aussi drôle que les dialogues sont bien écrits, et l’univers m’a immédiatement charmée. J’ai aimé Sasha et Paul, ados mal dans leurs peaux, qui me font penser aux jeunes de la série The End Of the Fucking World, mais aussi aux personnages torturés des films de Greg Araki. Le film est facile à appréhender, caustique, décalé, et sait faire passer un message fort sur la marginalité malgré son apparente simplicité. Avec quelque chose de très Addams, Sara Montpetit est une parfaite poupée gothique, meilleure encore selon moi que Jena Ortega. A voir absolument, que du love à la rédaction sur le cinéma québécois.

Transylvanie, Rodrigue Hart (2023)

Mention spéciale à Transylvanie de Rodrigue Huart, le court métrage primé de la sélection, qui était l’un de mes préférés également, avec l’excellentissime Au prix de la chaire de Thomas Palombi, qui a su conter une histoire claire à travers un parti pris visuel extrêmement audacieux et maîtrisé.

Le festival de Gérardmer, c’est un évènement unique. Qui vaut le déplacement et le pénible trajet en voiture, qui vaut l’attente dans le froid et le riesling tiède, qui vaut d’y consacrer un weekend de janvier. Une compétition extrêmement riche, avec des films diversifiés et des réalisateurs des quatre coins du monde, une ambiance aussi décalée que grisante, et surtout un vrai moment de communion autour du genre, souvent boudé par les salles obscures. Une seule chose est certaine : on dit aux monstres à l’année prochaine !

Léonore Ricois