L’Hermine

On se souvient de Christian Vincent entre autres pour Les Saveurs du Palais, qui relatait en 2012 les mésaventures de Catherine Frot en chef de cuisine à l’Elysée. Autre institution, cette fois c’est à la justice française que s’attaque le réalisateur, avec dans le rôle titre un Fabrice Luchini plutôt brillant. Revue de détail d’un (très) bon film français, au cœur des arcanes de la justice pénale.

L’Hermine dresse le portrait de Michel Racine, président de la Cour d’assise de Saint-Omer. Au cours d’un procès pour infanticide, dans lequel l’accusé ne dit rien d’autre, à part qu’il est innocent, il va retrouver parmi les jurés Ditte Lorensen-Cotteret, l’anesthésiste qui l’a pris en charge lors d’un accident quelques années auparavant, et dont il est tombé profondément amoureux. Médecin pas comme les autres, incarnée par Sidse Babett Knudsen, connue pour son rôle de femme Premier Ministre du Danemark dans la série Borgen, c’est un personnage plein de tendresse, pour ses malades comme pour sa fille de 17 ans qu’elle élève seule, que nous donne à voir Christian Vincent. Loin de la froideur nordique, Ditte est de ces médecins qui prennent la main de tous leurs patients, on remarque de très beaux plans, épurés, de sa main qui écarte une mèche de cheveux, prend un pouls sur un poignet fébrile, presse l’épaule de l’infirmière dans un sourire. On se laisse prendre au jeu de son interprétation, tout en retenue et en délicatesse. Peu à peu, le président froid et antipathique laisse place à un homme ré-humanisé par ses retrouvailles avec cette femme.

Autre partie de ce duo amoureux, Fabrice Luchini, que l’on ne présente plus. Ici cependant, pas question de flamboyance, Michel Racine se fait vieux, a des problèmes de hanche et une mauvaise grippe. Enigmatique, il divise, oppose, est haï ou adoré. « C’est un président à deux chiffres. Ca veut dire qu’avec lui t’en prends minimum pour dix ans. » Ainsi est-il présenté par ses pairs. Métaphore de l’acteur qui entre en scène, le président se drape de son manteau d’hermine, a le trac avant d’entrer dans l’arène. La justice est théâtralisée, ritualisée, à l’image de cette répétition du geste d’appuyer sur la sonnerie, qui déclenche, après un « La Cour ! » annoncé solennellement, l’entrée des jurés dans le tribunal. Tous les personnages sont représentés, des avocats au greffier, en passant par le dessinateur qui esquisse au feutre ou à l’aquarelle des portraits des personnes présentes au procès.

C’est un film empreint de littérarité. Les personnages des jurés, tous très bien interprétés (on retrouve avec plaisir Corinne Masiero, sa gouaille et son air goguenard), s’apparentent à des personnages de roman. Un scénario irréprochable, primé d’ailleurs à la dernière Mostra de Venise, crée de l’empathie pour ces personnages, tous autant qu’ils sont, du président de la Cour qui insiste pour qu’on l’appelle « Monsieur le président », et pas « Monsieur le Juge », aux petites gens qui passent à la barre. L’Hermine met en scène les rouages de la société, et nous donne à voir un éventail de personnages issus de toutes les classes sociales, sans jamais tomber ni dans le misérabilisme, ni dans la démagogie. Le film se déroule avec une certaine lenteur, et on a plaisir à voir se dérouler petit à petit la reconquête par Michel Racine de son anesthésiste préférée. Il est même demandé à Fabrice Luchini de déclamer du Brassens, mais c’est cette fois avec toute la retenue dont il est capable, et sera interrompu par la sonnerie du téléphone d’une jeune fille de 17 ans. Un clin d’œil en forme de leçon de modestie pour celui qui s’illustre d’ordinaire comme un champion de la grandiloquence, seul en scène ?

Les personnages secondaires sont tout aussi intéressants ; les avocats, les témoins, tous gravitent autour de ce personnage de président des apparences. Lui aussi cache des peines et des traumas, mais comme il le dit lui-même « On est blindé. »

La justice est théâtralisée, le film est fait de jolies métaphores sur la notion d’acteur, de jeu. Dans une scène un peu galvaudée avec l’ado rebelle, la jeune Ann pose la question : « La justice, c’est du théâtre ? » Oui, selon Christian Vincent, celui des passions humaines, de l’amour perdu, de la vérité qui n’éclate pas toujours au grand jour, des petites et grandes vicissitudes.

La scène finale en forme de demande en mariage est revisitée avec délicatesse à travers la métaphore du sermon. La réplique de Michel Racine lorsqu’on lui demande si il est heureux : « Heureux ? Oh la la, je ne suis pas si ambitieux ! ». On ressent une profonde empathie face à ces personnages. Des petites gens de province, des jeunes en survêtements, des vieux qui se contredisent, et au milieu, une véritable poésie de l’existence. Le tout emmené par la pureté de la bande originale composée par Claire Denamur, il n’en faut pas plus à ce nouvel opus pour passer un très joli moment, et réchauffer nos jours d’hivers dans la douceur de L’Hermine.

L'Hermine

Jane Capeyron