Hunger Games La Révolte, Partie 1 – analyse médiatique

Blockbuster plus malin qu’il n’y paraît, le troisième volet d’Hunger Games se pare même d’une portée communicationnelle et politique -les moins emballés diront d’un “emballage communicationnel”. Au-delà du divertissement qui nous est proposé (en parallèle de celui proposé aux habitants des Districts), nous entrons dans les coulisses de ce double show et assistons à la construction d’un discours de propagande, avec mise en évidence des stratagèmes marketing des deux camps en opposition.

La téléréalité en mode Big Brother

Il est évident qu’Hunger Games est présenté comme un immense jeu de téléréalité. Que ce soit dans l’arène où les jeunes gens doivent se battre jusqu’à la mort ou dans les Districts, Big Brother alias le Président Snow surveille sans relâche les habitants de Panem. L’événement des “Hunger Games” se situe entre télé-réalité et jeux du cirque, et est suivi en direct sur des écrans géants. Comme pour la téléréalité, dégoût & fascination sont à l’œuvre dans ce divertissement malsain. Au début des Jeux, le Président Snow indique leur rôle, qui est de prévenir toute nouvelle forme de révolte en rappelant la destruction du District 13. Ainsi tout en divertissant les riches, les Jeux divisent les pauvres. Le voyeurisme n’a plus de limites puisque Snow sait tout et surtout parce que Snow voit tout, tel l’œil de Sauron. Quand les candidats sont dans l’arène, les dirigeants du Capitole voient chaque geste, chaque mimique, et s’empressent de réagir en fonction.

Ce thème du voyeurisme télévisuel n’est certes pas nouveau (The Truman Show, Le Prix du Danger ou encore Videodrome de David Cronenberg qui livrait une critique féroce de la télévision comme pulsion de violence), mais toujours autant d’actualité.

La construction d’une figure médiatique : étapes et symboles

Mais le plus intéressant dans Hunger Games – La Révolte, ce sont  tous les processus de création du discours médiatique. Les spectateurs venus uniquement pour les scènes de bataille risquent ainsi d’être déçus : malgré quelques comptes à rebours et deux ou trois grosses explosions, ce premier volet du troisième tome est surtout axé sur le discours.

Le réalisateur Francis Lawrence s’est ainsi intéressé à la question des supports qui est proprement technique : comment être présent sur tous les écrans de Panem ? C’est en effet pour les “Gentils” le seul moyen de s’adresser aux habitants. Sont aussi abordées la création d’une figure héroïques, ou encore les tonalités -d’ailleurs souvent réduites au pathos ou à la colère- à adopter pour toucher un maximum de personnes.

Le symbole du Geai

C’est le symbole du Geai Moqueur (et le titre du film en anglais : The MockingJay) qui a été choisi pour représenter et porter la révolution contre le Capitole. L’oiseau, c’est un peu David contre Goliath. Malgré sa fragilité, il devient soudainement une arme inespérée puisque il peut répéter les rengaines qu’on lui siffle, ce qui va permettre à Katniss et Rue de s’avertir l’une l’autre des dangers les menaçant. Au-delà de son usage, c’est la broche que porte Katniss qui hisse l’oiseau au rang de symbole : impossible de rater le bijou-geai, qu’on verra sur tous les écrans et qui sera ainsi associé aux actes provocateurs de Katniss. C’est en somme la seule forme de communication qui peut échapper au Capitole.

Ce sifflement des oiseaux n’est pas sans rappeler les jingles utilisés en marketing, jingles qui nous poursuivent jusqu’à ce quelques notes suffisent pour faire le lien avec la marque -et donc avec le message publicitaire. Les quelques notes bien connues du Geai Moqueur sont reprises à chaque geste de révolte, et associées au geste visuellement très fort du bras levé. Ces quatre notes (sol si-bémol la ré) sont d’ailleurs autant une façon de communiquer pour les personnages qu’un moyen de communication du film lui-même…!

Comment construire une figure symbolique ?

La première partie du film insiste -parfois lourdement- sur la construction de la figure de la révolution. C’est Katniss, désormais toujours associée au Geai Moqueur, qui incarne la Révolte du peuple. Car si les habitants disciplinés du Disctrit 13 ressuscité ont bien compris une chose, c’est la nécessité d’unifier le discours. Selon une dialectique de la singularité et du groupe, il s’agit de choisir une seule personne pour incarner un propos et fédérer les foules.

L’écart entre la personnalité de Katniss et celle qu’elle doit incarner est frappant. Francis Lawrence insiste toujours sur son aspect mystérieux. Mais elle est devenue malgré elle le symbole de la révolte et celle à laquelle de nombreux habitants se sont identifiés. D’ailleurs il y a beaucoup (voire beaucoup beaucoup) de plans où elle ne sait pas quoi faire, où elle essaye d’échapper au rôle qu’on lui a taillé sur mesure. Des plans très rapprochés semblent l’enfermer dans le cadre et contribuent à la mettre face à un choix. Les scènes où l’on dit à Katniss comment se comporter se multiplient. Elle doit ajuster sa façon d’être face aux caméras, sa façon de parler et même sa façon de s’habiller. Les premier et deuxième films insistaient davantage sur ce dernier point puisque Cinna et Effie y sont des personnages majeurs alors qu’ils se “contentent” d’habiller Katniss. La robe de feu des premiers Hunger Games a permis à Katniss d’avoir des sponsors et des atouts précieux pour survivre dans l’arène. Dans ce volet-ci, c’est une tenue de guerrière qui est endossée par Katniss/Jennifer Lawrence, et qui va de pair avec l’identité qu’elle se doit d’adopter.

Le pouvoir du discours

Tous les discours des personnages sont écrits à l’avance, ce qui insiste sur leur importance dans ce film. Par exemple à la fin du film Katniss n’arrive pas à prononcer un discours tout fait (“Le District 13 et moi-même avons survécu à une attaque du Capitole”). Elle est paralysée car le président Snow la menace, mais toute l’équipe “en charge de la communication” la pousse à prononcer cette phrase, sans succès. Peu importe ce que la jeune femme ressent, elle se doit de prendre la parole depuis qu’elle incarne la figure de la révolution. On pourrait aussi prendre comme exemple les discours de la présidente Coin qui s’améliorent au fur et à mesure qu’elle prend la parole. Si elle devient une véritable communicante à la fin, fédérant son peuple avec fièvre, ce n’était pas gagné d’avance, puisqu’au début du film elle parle peu et froidement. A la fin de son discours, un plan dévoile Plutarch en train de chuchoter mot par mot le discours de la présidente, preuve qu’ils l’ont travaillé ensemble voire qu’il l’a écrit lui-même : aucune prise de parole n’est entièrement spontanée.

Manipulation par l’image : la mise en abyme du cinéma

Outre les discours, on manipule également par les images et ce même dans le camp des “Gentils”. Katniss est portée au rang de symbole et de génératrice de foule, mais son image a été construite quasiment de fond en comble.

De nombreuses scènes, notamment au début, nous montrent “l’équipe de com’” réfléchir sur la façon de représenter la fille du District 12. Ils commencent par des “propaclips” assez cheap où Katniss balbutie devant un mur vert qui sera comblé par des images de synthèse ; pour se tourner ensuite vers la sincérité en mettant Katniss en situation de spontanéité.

Ce qui est comique, c’est qu’une importante partie du film a été tournée comme cela, avec beaucoup d’effets spéciaux qui n’ont pas été réalisés autrement que ce que l’on voit comme peu convaincant  à  l’écran… Mais c’est la magie du cinéma qui même en sursignifiant l’artefact sur lequel il repose, arrive à nous le faire oublier dans la scène suivante pour que l’on y croit encore davantage ! Jennifer Lawrence arrive à nous émouvoir et à se doter d’une crédibilité assez riche alors que quelques plans plus tôt, on se moquait de son jeu qui sonnait faux.

En somme, Hunger Games La Révolte questionne les pratiques médiatiques et communicationnelles en insistant notamment sur la nécessité d’une communication puissante ; communication à unifier autour d’un symbole (le Geai), d’un visage (Katniss), d’une musique (les quatre notes) et d’une charte visuelle (le feu). Cette téléréalité de chasse à l’homme mêle l’antique à l’actuel et comme souvent, la science-fiction finit par interroger la réalité de notre monde où répression policière, maintien des castes sociales et voyeurisme menaçant s’entremêlent. Sans que la critique soit nécessairement poussée, Hunger Games a donc le mérite d’intégrer cet élément de contestation tout en demeurant un film très grand public.

Lucie Detrain

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