Blade Runner – Entre science-fiction et transhumanisme

Blade Runner est un film de science-fiction sorti en 1982 et réalisé par Ridley Scott version director cut 2007. Son scénario s’inspire très librement du roman de Philip K. Dick :  Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

Le film se situe en 2019 dans une Los Angeles pluvieuse et oppressante. La population terrestre est encouragée à émigrer vers des colonies situées sur d’autres planètes. Un détective, Deckard (Harrison Ford), est recruté pour traquer et éliminer un groupe de 4 répliquants, des créatures artificielles créées à partir de l’ADN humain, qui se sont échappés de leur espace réservé pour regagner la terre.

L’esthétique visuelle du film en fait un des initiateurs du mouvement cyberpunk, un mélange cinématographique où progrès technologique et bas-fond se côtoient. Dès les premières minutes on est frappé par la beauté des images qui traverse le film de part en part. Ce sens du détail en dit beaucoup sur le regard à la fois critique et fantasmé que le réalisateur pose sur la modernité.

 

Témoignage d’une époque

A sa sortie, le film a su se démarquer de la concurrence grâce à la réactualisation de codes propres aux films noirs américains. Deckard représente la figure du détective par excellence : c’est un homme solitaire et sans attaches. Le film semble s’intégrer dans la continuité de Métropolis de Fritz Lang, notamment dans la manière de représenter les figures urbaines, la verticalité permettant de conserver un schéma d’injustice : les élites demeurent en haut tandis que le peuple reste en bas. Ce modèle représente, en grands traits, la création d’une mégalopole et ses dérives, inscrite dans un jeu d’ombres dessinant les travers d’une société sombre et nébuleuse. L’atmosphère du film est asphyxiante et c’est en cela qu’elle brise les codes. Situé dans le quartier chinois d’une Los Angeles plongée dans une nuit permanente, ce film de référence constitue donc un document  sur les années  1980 : les costumes, notamment les vêtements des femmes, par exemple ceux de Rachel, sont un mélange de ce qu’on imaginait des inventions futuristes et de la mode à l’époque. Celle-ci est pleine de préoccupations qu’on retrouve dans Blade Runner : le choc pétrolier amplifie l’idée que l’Occident se dirige vers l’Orient et que le monde moderne est en train de mourir. La déconstruction du temps symbolise la quête de l’homme qui cherche à s’ancrer dans une société moderne en perte de repères. Cette réflexion sur la perte de marques temporelles et la globalité est reprise dans le discours critique sur la publicité : les spots de Coca Cola sur écran géant sont récurrents et prennent un caractère ridicule, notamment parce qu’on retrouve dans presque chaque plan du film un attribut écologique : c’est à cette époque-là qu’on commence à acquérir une conscience écologique. A celle-ci s’ajoute une conscience éthique notamment en ce qui concerne le rôle des machines face à l’homme. C’est une des premières transpositions cinématographiques d’un univers science-fictionnel. C’est pourquoi Blade Runner est devenu une source d’inspiration par la suite : c’est une matrice de nombreux films qui vont reposer sur des ingrédients comme l’analyse de la publicité, la façon de traiter la relation machines/hommes, …

Malgré toutes ces réflexions et la modernité du film, celui-ci est à sa sortie, en 1982,  un véritable échec : en plus d’être concurrencé par le succès de E.T., le film est victime de sa mauvaise réputation. Selon les rumeurs, Ridley Scott n’était pas satisfait de son équipe américaine qu’il voulait anglaise, mettant ainsi de nombreux mois à tourner le film. De plus, la production hollywoodienne n’était pas en accord avec la fin du film et en a tourné une autre qui a été par la suite supprimée et remplacée dans la version de 1992.

 

Identité et regards

L’omniprésence du regard est représentée dans le film par les gros plans sur les yeux des personnages servant ainsi à différencier les êtres humains des robots, les pupilles n’étant pas les mêmes que celles des hommes. Ceci est très bien symbolisé dans le film par les yeux de la chouette qui ressemblent à des billes. De même, à travers les yeux transparait plusieurs fois la pyramide d’inspiration maya qui pose la question : « comment perçoit-on le réel? ». La question du doute, qui nous permet de dire qu’on est bien réel et qu’on existe, constituant un premier test pour distinguer l’homme du répliquant grâce à la machine Voight-Kampff qui est censée déterminer si le témoin ressent de la compassion ou non, prouvant alors la nature du témoin. La recherche perpétuelle de connaissance de la nature des personnages pose la question de l’identité et de la mémoire notamment avec le nouveau type de répliquant qu’est Rachel : plus rien ne différencie l’être humain du répliquant qui a désormais une mémoire. Celle-ci lui est donnée à partir de souvenirs d’humains qu’elle s’approprie grâce à des anecdotes précises ou des photos. Une des seules choses qui différencie l’homme du robot est la présence d’émotions chez l’être humain. Or les humains cherchent absolument à être en contrôle de leurs émotions, quitte à ne plus en avoir. C’est le cas de Deckard qui a tendance à toujours garder la même expression et à rejeter son attirance pour Rachel. Au contraire, les répliquants cherchent à s’approprier les émotions ressenties par les hommes, notamment grâce aux orgues d’humeur qui leur permettent d’avoir une influence sur leurs sentiments et ainsi de s’humaniser. Les réflexions d’Asimov font écho à tout cela à travers la représentation du fantasme du robot symbolisée par les répliquants : il s’agit d’une manière de considérer ces êtres comme des esclaves. Ils sont conçus par les hommes pour répondre à leurs besoins et ils tentent d’échapper à cette condition.

 

Le transhumanisme comme représentation à notre image

Le film repose ainsi sur le crible permanent, l’absolue présence du test permettant de définir les identités entre les hommes et les robots. Or cela pose la question du transhumanisme et établit une analogie entre les hommes et les machines, tant à travers les répliquants qu’à travers les outils technologiques présents dans Blade Runner. Deckard se demande lui-même s’il n’est pas un robot et se pose la question de l’empathie puisqu’il éprouve lui-même de l’empathie pour Rachel. C’est la représentation de l’éternelle histoire d’amour qui permet de soupçonner que Deckard serait humain alors qu’en fait Deckard est, selon le réalisateur, un répliquant. L’ambivalence de Deckard représente donc la nécessité de l’humain à rester moins humain que « le plus humain ». Il ne doit pas dépasser une limite qui lui serait constitutive : l’homme est un être avec des défauts et des faiblesses qu’il faudrait combler, notamment par la technologie. C’est symptomatique d’une sorte d’égocentrisme qui a forme humaine et qui constitue le désir de posséder quelque chose censée être au service de l’homme et censée être à son image, tel un démiurge. Blade Runner dévoile donc le courant transhumaniste lié au courant de pensée qui vise à définir les liens de l’homme avec la technologie, notamment son rapport esclavagiste avec la technique qui s’oppose au courant philosophique qui consisterait presque à donner des droits de l’homme à la machine. La volonté de lutter contre le comportement ignoble envers les animaux s’inscrit dans le projet de restituer des droits à tout ce qui est vivant et s’étendrait aux objets et aux outils techniques, comme les robots. Ainsi, Blade Runner intervient dans notre vision humanisante des machines et de la technologie, en représentant l’ambivalence notre désir de les dominer et les utiliser tout en les respectant.

 

Analyse et réflexion menées par Lucie Passard, Raphaël Londinsky et complétées par M. Olivier Aim.

Compte rendu rédigé par Pénélope Montazel.

 

 

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