INHERENT VICE – La fumée stone.

Tout commence in medias res, dans l’appartement du héros, Doc Sportello, étrange détective privé, qui nous apparait immédiatement drogué, promesse qu’il ne sera jamais sobre dans ce film écrin de la fin des 60’s. Shasta, l’ex-petite amie de ce hippie hirsute se glisse dans la scène comme une revenante vaporeuse. De sa voix trainante, elle lui raconte qu’elle est tombée amoureuse d’un promoteur immobilier milliardaire dont l’épouse et son amant conspirent pour le faire interner. Doc en se relevant de son canapé, les yeux ailleurs, la bouche pâteuse, accepte sa mission, réticent mais incapable de refuser. Tout au long du film, il essayera de démanteler cette affaire aux allures de conspiration, jusqu’à sa résolution incohérente mais définitivement jouissive.

Anderson nous livre une adaptation brillante du Roman de Thomas Pynchon. Il se démarque habilement des films de Stoner et du comique facile pour faire d’Inhérent Vice une fable subtile. Inhérent Vice, plus que la métaphore d’une époque est un film de la mise en abyme. Ce n’est plus un film de drogué, c’est un film drogué.  Par son volontaire manque de cohérence, sa temporalité interminable, et ses conclusions absurdes, le film d’Anderson capture le spectateur dans les méandres de fumée des joints de Doc et ce fait incarnation de son brouillard mental. Tout est là pour nous enfermer dans le trip du protagoniste : les plans, les regards, les dialogues décousus et incompréhensibles. Ce point de vu interne incroyable en fait un film des cinq sens où les décors colorés des 70’s sont palpables et dans les odeurs de patchoulis, nos oreilles cotonneuses planent sur une bande originale démentielle.

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Dans cette atmosphère qui nous possède et nous envahit, une voix off à la cadence déphasée nous raconte l’histoire mélancolique d’un monde qui touche à sa fin. Cette tristesse sourde, nécessaire à la beauté d’Inhérent Vice, est portée par la gravité des acteurs au jeu insaisissable, tous d’un naturel désarmant. Les cadrages fuyants sur le visage excentrique et halluciné de Joaquim Phoenix subliment sa performance. Il n’a jamais été aussi bon. Il est fascinant, étonnant avec ses gémissements d’animal perdu qui reviennent nous faire rire à chaque scène. Il incarne, magnifique, le témoin évaporé de l’hystérie collective qui s’empare de la Californie de la fin des 60’s, mais aussi le dernier clown paranoïaque et burlesque de ce monde. Par l’usage désarticulé de son corps mou de hippie, il transcende l’histoire. Ce sont ses yeux vides, ses sourires fugace, ses silences et son regard caméra final qui nous entrainent dans une transe qui n’a pas besoin être justifiée.

Inhérent Vice se subit avec plaisir alors qu’il diffuse lentement dans les esprits sa psychédélie mélancolique. Ce film nous laisse perdus, hilares, incohérents, stones en somme, dans un état qui nous suit longtemps après sa fin béante.

Raphaëlle Vanjak