SANS TOIT NI LOI, la marginalité selon Agnès Varda

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          Fin juin, le Champo organisait une rediffusion de Sans toit ni loi, en version restaurée. Dimanche 29, Agnès Varda en personne est venue présenter ce qui fut l’un de ses plus grands succès en salles. Discrète, mais imposante par son aura, apparaît Agnès Varda qui nous fait la surprise d’être accompagnée de Macha Méril et Sandrine Bonnaire. Emue, celle qui avait reçu pour son interprétation brillante le César de la meilleure actrice, avoue être venue en tant que spectatrice et ne pas avoir revu le film depuis près de 15 ans.

 

 

          Agnès Varda confie à l’auditoire attentif avoir voulu faire une œuvre proche du documentaire, une sorte de suivi sociologique qui aurait, comme chez l’ethnologue Jean Rouch, l’ambition de filmer « les faits et gestes des gens ». C’est donc dans la tradition de ce cinéma du réel que s’inscrit Agnès Varda quand elle affirme que « ce film c’est surtout une affaire de dire sans dire, de montrer ».

          Sans toit ni loi est donc, conformément au style de Varda qui excelle dans le domaine, un documentaire fiction, qui s’attache à suivre une « routarde », une marcheuse infatigable : Mona. C’est le portrait d’un personnage opaque que nous dresse Varda, celui d’une « rebelle sans cause » qui ne se reconnaît dans aucun cadre social si ce n’est celui des « hors tout ». Magistral, le film dans sa réalisation est pourtant très sobre, voire modeste. En prenant le parti d’évacuer toute forme de considération psychologisante sur son héroïne, Agnès Varda livre ainsi un très beau « reportage », avec un travail très prononcé sur le comportement, les gestes et les postures de sa marginale.

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        Le film démarre sur un « fait d’hiver » : une jeune fille est retrouvée morte de froid dans un fossé. Agnès Varda en voix off affirme vouloir retracer le dernier hiver de celle qui passa « du fossé à la fosse commune », aussi seule dans sa mort que dans sa vie. La suite du film est donc une série de flashbacks, portée par un scénario construit sur le fil des rencontres faites par l’héroïne, des échantillons de vies croisées, de personnages ne font que traverser son errance, jusqu’au moment inéluctable de sa fin. La fiction pas si fictive retrace la trajectoire sans but apparent de cette Mona qui nous reste mystérieuse. La caméra de Varda accompagne cette asociale crasseuse mais libre au gré des lieux qu’elle traverse, en accumulant les travellings latéraux qui font défiler paysages et personnages sans prise ni emprise possible sur eux. C’est à une caméra subjective et confidente que s’adressent parfois directement les personnages avec des regards caméra qui brisent momentanément la fiction et prennent à partie le spectateur.

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Deux de ces nombreuses rencontres m’ont marquée.

          Le personnage joué par Macha Méril, professeur de fac et platanologue, incarne une bourgeoisie bien pensante qui vient en aide à Mona, malgré la répugnance éprouvée face à la jeune fille. Devant son combat pour sauver les platanes d’un virus, on se demande ce que la société fait de ses marginaux pour autant s’inquiéter de ses arbres. Incapable de vraiment l’accepter et de l’aider, cette touchante rencontre est suivie d’une scène d’abandon où Mona retourne dans la forêt, là où elle semble ne pouvoir qu’aller : nul part. De là surgit un sentiment de reproche, un combat entre bonne et mauvaise conscience, adressé implicitement à nous tous.

La rencontre avec un berger, relativement pauvre, thésard de philo (le personnage mais aussi l’acteur) qui a donné à Agnès Varda l’occasion de mettre des mots sur une dimension du film : le rapport entre solitude/liberté. En effet, son héroïne éprouve sa liberté au point d’en mourir. Une liberté exclusive et donc une solitude meurtrière dont elle crèvera, on le sait déjà… C’est cette liberté dangereuse que dénonce le berger quand il assène que son errance est une erreur, qu’elle est dangereuse puisque sans but ni idéal. Et d’en conclure qu’à chacun sa révolte, chacun sa marginalité.

 

“-  La route par ce temps ? (le berger)

–  J’ai pas choisi le temps. (Mona)

–  Mais t’as choisi la route.

–  Bah ouais.”

 

          Du berger au fromage de ses brebis, la thématique de l’alimentation n’est pas loin. La nourriture, qui tend à s’amoindrir au fur et à mesure de la route de Mona, est une quasi obsession du film. Elle est d’ailleurs souvent compensée par des cigarettes roulées de ses doigts noirs de crasse. L’alimentation, de plus en plus avide, est filmée dans son aspect le plus viscéral : le sandwich qui s’englouti, les sardines mangées à pleines mains sales dans une boite de conserve poisseuse et rouillée, les pommes de terres cramées dans un tas de cendres, les radis incomestibles et gelés, jusqu’à ce que la faim devienne sa fin.

          Mais le plus dérangeant dans Sans toit ni loi est sans doute la saleté. Dans une des premières scènes Mona sort de l’océan, telle la Vénus de Botticelli, les vagues ayant lavé son corps nu sous les yeux avides de deux jeunes. Puis progressivement, et jusqu’à la pire salissure intime, c’est une crasse insidieuse qui pénètre ses vêtements, sa peau, ses gestes. C’est cette saleté, filmée dans son aspect le plus simple et le plus quotidien, qui dérange profondément. Chaque rencontre témoigne du malaise qui se cristallise autour du caractère asocial de Mona, cette jeune fille libre, sale et seule.

          Sans toit ni loi retrace la longue descente aux enfers de Mona qui, comme la petite chèvre de Monsieur Seguin, se bat seule contre tout et tous, tout en poursuivant sa route, inlassablement. Elle dort dans des maisons délabrées, des champs, des cimetières, des squats et des gares, jusqu’à son chemin de croix final, inéluctable.

A Agnès Varda appartiennent les mots de la fin quand elle conclut : « Mona meurt en fait de non dialogue, de faim, de froid et de saleté ».

 [youtube www.youtube.com/watch?v=73rzSNzjGF4]

Guillemette Pinon

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