Les Quatre Cents Coups – Francois Truffaut

Dailleurs, il déteste le sport ll préfere senfermer des heures au cinéma a sesquinter les yeux » Gilberte Doinel, en parlant de son fils.

Dure comme une pierre, sèche comme la paille, amère comme un café Richard, Gilberte Doinel n’est pas la mère dont rêve tous les enfants. Son fils Antoine Doinel n’est pas parfait non plus, préférant faire l’école buissonnière plutôt que d’apprendre les poésies De la Fontaine, il se balade dans ce Paris des années 60 qui nous est inconnu, sombre et crasseux, industriel et populaire. Pour son premier film, le jeune et acerbe critique François Truffaut nous gratifie d’un long métrage juste, inaugurant le mouvement de la nouvelle vague d’une réflexion poétique et mélancolique sur la place de l’enfant dans la société française de l’époque.

Antoine Doinel est un gamin comme un autre, un gamin de son temps qui parcourt les rues en courant avec son ami René, toujours en mouvement. C’est une notion fondamentale dans le cinéma de Truffaut, cette injonction au dynamisme, les jambes défilent sur les pavés (cf L’homme qui aimait les femmes), les corps se meuvent en un ballet. Les Quatre Cents Coups sont avant tout une histoire emplie de mélancolie bien que de nombreux critiques y verront une ode à la liberté (ce qui n’est pas tout à fait faux non plus). C’est l’histoire d’un titi parisien, gouailleur comme un poissonnier du 18ème, qui n’arrive pas à se faire aimer de ses parents. Sa mère est marmoréenne, glaciale, ne lui montre aucun signe d’affection et ne lui adresse la parole que pour l’invectiver. Son père, ou plutôt son père adoptif, est de temps à autres complice mais finalement assez indifférent au sort du jeune garçon. Ses parents ne lui accordent pas d’attention ? Qu’à cela ne tienne, Doinel ira faire les quatre cents coups au cours de longues pérégrinations nocturnes.

Les coups sont capitaux, car bien qu’il sache les faire en dérobant une machine à écrire ou une affiche de pin-up dans un cinéma, Antoine les reçoit également. De la part de son père ou de son professeur, les gestes d’humeurs et les paires de claques font partie intégrante du récit. L’œuvre de Truffaut est instructive d’un point de vue historique, nous rappelant qu’à l’aube des années 60 les relations entre enfants et parents étaient plus impersonnelles qu’elles ne peuvent l’être aujourd’hui. De même celles qu’entretenaient les professeurs avec leurs élèves relevaient d’une soumission pure et simple où le dialogue avait une place, pour ainsi dire, inexistante. Dans son film Truffaut cherche habilement à dénoncer tous ses lieux de surveillance (école et maison d’arrêt) où l’expression est lasse et vaine, où les moindres sentiments sont réprimés par les coups et les brimades. S’inspirant en partie de son enfance, pour son premier long métrage Truffaut voulut retranscrire toute la profonde injustice que peuvent ressentir les laissés-pour-compte affectifs. Antoine n’est pas maltraité physiquement mais l’est moralement, oublié, délaissé par ses parents qui n’ont pas vraiment l’air de s’intéresser à la question, préférant l’envoyer dans une maison de redressement proche de la mer.

L’interprétation du jeune Jean Pierre Léaud ainsi que l’œil doux de la caméra de Truffaut nous incitent à aimer ce personnage à la fois émouvant et meurtri. En maître du montage et de la mise en scène, le réalisateur parisien nous invite à porter un nouveau regard sur l’enfance, ses joies menues et ses profondes blessures. Courant sur la plage, suivi par le travelling mémorable de la camera de Truffaut, Antoine Doinel s’enfuit à la vue du monde, des adultes et de leur autorité, à la vue de la mère qu’il aurait voulu aimer.

Martin Blanchet