Au Hasard Balthazar : le reflet de l’humanité à travers la vie d’un âne

Réalisé par Robert Bresson en 1966, Au hasard Balthazar raconte l’histoire a priori banale d’un âne qui, au fil de sa vie, est confronté à différents propriétaires et, de facto, à différents caractères et personnalités. À travers le parcours de cet animal et ses diverses confrontations avec l’humain, Robert Bresson dresse un portrait de l’humanité dans toute son universalité. Selon Marguerite Duras, ce film constitue un véritable tournant dans l’histoire du cinéma, puisqu’il le fait pénétrer dans une nouvelle ère : celle de la pensée et de l’intériorité.

Dès le générique de début, des braiments se font entendre, mêlés à la Sonate pour piano n°20 de Schubert, morceau qui rythmera le film. D’abord heureuse au côté de la jeune Marie, l’entrée dans la vie de Balthazar est semblable à celle d’un nouveau-né, avec son lot de caresses, de cajoleries et de jeux. Mais très vite, des perturbations vont venir bouleverser ce calme. 

Comme tentée par le mal, Marie est attirée par Gérard, un jeune homme travaillant pour la boulangerie du village. Il n’hésite pas à rouer de coups l’âne, à mettre le feu à sa queue lorsqu’il ne veut plus transporter le pain jusqu’aux maisons des clients, mais aussi, plus tard, à humilier Marie. 

La scène de séduction entre les deux futurs amants est très intéressante : d’abord oppressante et violente, dans la 2 CV de Marie, avec les gestes non consentis de Gérard, elle se transforme en un jeu enfantin où les deux jeunes se courent après en tournant autour de l’âne. Balthazar, quant à lui, ne réagit pas.

Gérard et Marie jouent autour de Balthazar

Les saisons passent et Balthazar, n’ayant plus autant de forces qu’auparavant, devient un fardeau pour les boulangers. Alors qu’on s’apprêtait à le tuer, Arnold, un homme de la ville, se propose de le récupérer. Un épisode composé d’alcool et de violence commence alors pour l’animal – désormais en bonne santé – au côté du nouveau propriétaire. 

« La route pouvait le tuer, elle l’a guérie » dit Arnold

Mal attaché par Arnold, de nouveau ivre, Balthazar parvient à s’échapper et trouve refuge dans un cirque. Il découvre alors les animaux domestiqués qui y vivent. La rencontre est captivante : l’âne défile parmi les cages alignées, où se trouvent tigre, ours, singe et éléphant. L’échange de regards entre lui et eux s’apparente presque à un échange humain, comme un dialogue sans paroles. Certes plus imposants et grandioses, ces animaux entretiennent cependant un accord tacite avec les humains, chose que Balthazar – qui sera tout de même dressé par la suite – réprouve (d’où les nombreuses scènes de fuites durant le film).

Les dresseurs à propos de Balthazar « Détrompe toi, c’est l’intelligence-même » « Dis plutôt qu’il a du talent, du génie »

Au côté de Balthazar, nous sommes coincés dans un cycle de souffrances dont il ne semble pouvoir s’échapper. Tout comme Marie, il n’a de désir que de vivre et tous deux vont finir loin des tourments que ces hommes leurs infligeaient. Elle disparaît et, lui, rend son dernier souffle dans la quiétude de la montagne, atteint par une balle. Il meurt encerclé par des moutons, comme il l’était plus tôt, alors ânon, lors de la scène d’ouverture du film.

Ainsi, Balthazar, en passant au hasard de main en main (mains qui sont d’ailleurs très fréquemment filmées, ce qui attesteraient l’intériorité des humains, mus par diverses passions et ardeurs), de propriétaire en propriétaire, est victime des vices humains. Il navigue entre orgueil, avarice et cruauté et n’a qu’un seul objectif : se maintenir en vie. Tout au long du film, Balthazar est comme stoïque. S’il est présent au monde – puisqu’il le constate et le subit – du fait de sa passivité, il devient presque absent tant ses réactions sont minimes. Les seules qu’il a sont suscitées par l’imminence d’un danger et, alors, il fuit. 

Balthazar est donc le témoin de l’humanité : il ne la rejette pas, mais ne l’accepte pas pour autant, tel un Saint, comme le qualifie la mère de Marie à la fin du film.

Marie Giovannini


Sources :

Interview de Jean-Luc Godard, Louis Malle et Marguerite Duras

Cours de Pascal Caglar, professeur de classes préparatoires ECE

Crédits photographiques

© Images tirées du film Au Hasard Balthazar, Robert Bresson, 1966

©Image de couverture de l’article