2001 l’Odyssée de l’espace et « l’Éternel Retour » chez Nietzsche

Space Odyssey Kubrick running run

Stanley Kubrick n’en est pas à son premier film lorsqu’il écrit le scénario de 2001, l’Odyssée de l’Espace, en 1968. Si la réception du public est premièrement assez critique, l’œuvre devient bientôt culte : un classique qui sans cesse interroge. Les thèmes qu’il aborde sont multiples : l’évolution humaine, la place de la technologie, les dérives que peuvent causer l’intelligence artificielle et la peur qu’elle ne finisse par dominer l’Homme, comme le créateur perd le contrôle de la chose qu’il a enfanté… Autant de sujets que n’épuise pas la richesse des quatre actes que Kubrick avait imaginé à partir du roman d’Arthur C. Klarke.
Nous suivrons ici le fil rouge qui sous-tend les parties du film, et les relie entre elles.

L’Éternel Retour Nitzschéen

L’humanité, loin de se diriger dans le sens du progrès, ne fait que répéter indéfiniment les mêmes actions. Loin d’une conception linéaire du temps, Kubrick peint une humanité qui, prise dans l’Éternel Retour du même, selon les mots de Nietzsche, s’enferme dans un rapport cyclique au temps et aux choses. De la flèche qui symbolise l’avancée vers un monde meilleur, nous passons avec l’Odyssée de l’Espace à la métaphore du cercle avec tout ce qu’il implique : une forme qui exclut l’advenu de quelque chose de nouveau. C’est sous l’angle de la circularité de l’existence humaine que j’ai choisi de vous faire redécouvrir l’œuvre de Kubrick.

2001 space odyssey cover kubrick

 

Nietzsche évoque dans Le Gai Savoir la thèse de l’Éternel Retour :

« Et si un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même. Un éternel sablier de l’existence est sans cesse renversé, et toi avec lui, poussière des poussières ! »

Perspective peu réjouissante s’il en est ! Elle s’applique pourtant tout à fait à l’œuvre de Kubrick, et à la représentation qu’il donne de l’humanité en général.

Le monolithe, symbole de l’évolution de l’Homme

L’intrigue se noue avec l’arrivée, dans un monde préhistorique, d’un monolithe noir. Celui-ci vient bouleverser le quotidien des êtres qui peuplent cet univers : partagés entre admiration et frayeur, ils approchent l’objet sans savoir ce que sa venue annonce… Rien de moins que l’arrivée progressive de la civilisation ! Les singes deviennent peu à peu des hommes en utilisant des outils et en commençant à en faire des armes, pour se nourrir mais également pour se défendre.

intro space odyssey kubrick

C’est ce même monolithe que l’on retrouvera bien des siècles plus tard dans le film, planté sur la Lune : quel changement sa présence annonce-t-elle ?
Les sensations qui animent la délégation de scientifiques modernes dépêchés sur notre satellite naturel sont similaires à celles des Hommes préhistoriques : entre interrogation et frisson de malaise, tout aussi évolués qu’ils soient, les Hommes ne parviennent pas à en percer le mystère…

Space Odyssey Kubrick astronaut

La redondance d’apparitions du monolithe est un signe qui nous mène vers l’Éternel Retour, comme pour nous dire qu’à chaque fois l’Homme se trouve dépassé devant ce qui annonce sa propre évolution. Pourtant, ce n’est pas le premier élément qui nous mène vers la thèse de Nietzsche lorsque nous visionnons le film

En effet, lorsqu’au début, un singe découvre qu’il peut se saisir d’un os afin d’en faire un outil, il commence à frapper les débris d’une carcasse d’animal. Cette mise en scène, où s’exprime la force et la violence de l’animal, qui deviendront celles de l’Homme, est entrecoupée par des flashs où apparaît l’animal tombant à plusieurs reprises : nous déduisons que cette action est amenée à se répéter et à se répéter encore, tant que l’Homme sera carnivore et qu’il devra tuer les animaux pour les manger.

Une quête vers Jupiter, mais surtout une quête vers l’Humanité

Mais revenons à notre monolithe : une fois découvert par les Hommes, ceux-ci comprennent qu’il émet un signal vers Jupiter. Nous passons alors à l’acte trois du film, où les deux astronautes, David Bowman et Frank Poole, embarquent dans leur vaisseau en direction de cette planète, en compagnie d’Hal, l’ordinateur de bord. Celui-ci, doté de la plus haute intelligence artificielle qui soit, ne tardera pas à faire apparaître des défauts de fabrication : il se retournera contre les deux hommes, qui après avoir constaté ses déficiences, émettent l’idée de le débrancher…

David Bowman, précipité à la dérive, dans un vaisseau qui fonctionne mal et sans coéquipier, celui-ci étant mort à cause d’Hal, est entraîné au-delà de l’espace-temps. Le domaine dans lequel il finit par atterrir n’a rien de commun avec le nôtre : il se voit tour à tour jeune, vieux, puis mourant. Le spectateur assiste au cycle de vie complet d’une vie humaine, jusqu’à ce que, vieillard, il ne trouve même plus la force de se lever. Sans que l’on comprenne tout de suite pourquoi, il lève un bras avec difficulté vers… Le monolithe qui l’a suivi jusqu’ici. C’est alors que tout s’enchaîne, à la mort succède la renaissance, et c’est un bébé, énorme et à la physionomie repoussante qui se rapproche pour englober la terre : territoire des humains.

Space Odyssey Kubrick baby earth

L’Éternel Retour, principe constitutif du Surhomme

En nous reposant sur notre interprétation Nietzschéenne du film, on constate que tous les évènements de celui-ci nous ramènent à une dynamique de répétition inlassable. C’est le moteur du film. Du début à la fin, on tourne en rond, on recommence, des plus petits détails du quotidien aux plus grandes actions modernes.

Toutefois, chez Nietzsche, l’Éternel Retour n’est pas un fardeau : il exalte au contraire le temps présent puisqu’il s’agit de vivre de telle façon que l’on puisse être heureux même en répétant nos actions. Selon Nietzsche, le principe même du Surhomme est de toujours aller dans le sens de l’Éternel Retour, toutes ses actions seront répétées car il ne voudra jamais faire autrement. Se servir de l’Éternel Retour lui permet de s’élever au-dessus des autres Hommes, ceux qui portent à jamais le poids de leurs actions

Anne LAROUDIE