La La Land : Beau à en pleurer

   Je déteste les comédies musicales. Peut-être parce que je n’ai jamais su moi-même ni chanter, ni danser. Pourtant, j’étais irrémédiablement attiré par La La Land. D’une part parce que j’avais été médusé par Whiplash du réalisateur Damien Chazelle à sa sortie, indéniablement l’un de mes coups de cœur de fin 2014, d’autre part parce que je suis éperdument amoureux d’Emma Stone depuis la fin de ma tendre enfance (s’est-elle réellement terminée, d’ailleurs ?). Pour autant, j’avais toujours eu l’impression qu’aucun film dans lequel elle avait tourné ne rendait pleinement justice à son immense talent. Il manquait à mes yeux ce long-métrage dans lequel elle pourrait dévoiler totalement son potentiel. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : ce film est enfin arrivé. Ce film, c’est La La Land.

Passée la première demi-heure, un constat s’impose, flagrant. L’alchimie entre Emma Stone et Ryan Gosling opère à merveille. Damien Chazelle nous prouve qu’il sait construire des relations humaines et les transposer à l’écran avec une virtuosité que l’on ne remet pas une seule seconde en question. La La Land est aussi lumineux que Whiplash était sombre. Le réalisateur parvient à mettre en scène un couple sans fioriture auquel on s’attache instantanément, qui nous passionne autant que le duo antagoniste de son précédent long-métrage nous a fasciné. Si l’on pouvait reprocher à Gosling de toujours jouer le même type de rôle, celui du bellâtre taciturne façon Drive, force est de constater qu’il est à contre-emploi pour notre plus grand bonheur. Un peu maladroit, un peu ridicule, révolutionnaire conservateur amoureux de jazz, il étonne et épate, remporte l’adhésion du public, et tient la dragée haute à une Emma Stone formidable dans des scènes amenées à devenir des pierres angulaires de sa carrière. De saison en saison, nos tourtereaux évoluent comme le feraient deux véritables êtres dans un couple, avec leurs lots de moments d’allégresse mutuelle, mais aussi de conflits. Le tout évidemment au profit du film, ou devrais-je dire du spectacle.

Parce que oui, La La Land est un bijou visuel et auditif de chaque instant, avec une palette de couleurs somptueuse et une mise en scène tout bonnement magique, idéalement propice à l’onirisme, véritable sujet du film. L’œuvre est poétique, empreinte de plans nous laissant pantois d’admiration, et s’amuse avec la temporalité en brouillant quelque peu les pistes. Lorsque portables et ordinateurs apparaissent, ce qui est relativement rare pour le souligner, c’est pour esquisser une critique de notre mode de vie connecté à des personnes lointaines, mais déconnecté des personnes physiquement proches de nous. La caméra de Chazelle réussit l’exploit de nous présenter une ville de Los Angeles idéalisée, qui n’a de mémoire jamais été aussi belle au cinéma. Dois-je mentionner les cieux majestueux qui nous sont donnés à contempler l’air béat comme on le ferait avec le plafond de la Chapelle Sixtine ? C’est simple : on en prend plein les mirettes sans arrêt, et on en redemande.

   Scénaristiquement, le film sort des sentiers battus, nous captive jusqu’à sa conclusion qui questionne les codes du genre de la comédie musicale.. Damien Chazelle va jusqu’à porter un métadiscours sur la création artistique et ses limites, distille les références au jazz, et ainsi à Whiplash, avec notamment deux apparitions de JK Simmons mémorables, qui ne manqueront pas de vous arracher un sourire complice.
Du point de vue de la bande-son, c’est un sans faute. En parler davantage serait vous spoiler, tant la musique est centrale dans la mise en scène et dans l’intrigue. Évoquons simplement la présence de titres phares des années 1980, repris dans une scène autour d’une piscine qui fait mouche. L’une de mes craintes était une surabondance de passages chantés et dansés qui m’auraient causé une sévère crise d’urticaire. Sauf que le dosage est parfait, les chorégraphies enivrantes, et les voix de nos protagonistes bien-aimés vibrantes. Leurs voix d’ailleurs servent des dialogues fins, parfois drôles, parfois déchirants, mais permettant toujours l’identification du spectateur avec au moins l’un des deux héros dont les motivations sont pareilles à tout un chacun. Nous les comprenons, et nous prenons d’affection pour eux, pour leur histoire. Le moment de leur dire au revoir est d’ailleurs source d’émotions, à en juger par les paupières humides du public sortant de la salle. Là réside une beauté humaine en plus d’une beauté purement artistique, raison pour laquelle le film séduit tant de gens, y compris les réfractaires aux comédies romantiques. Un reproche que certaines voix caverneuses et blasées pourraient faire à La La Land serait de le qualifier de pot-pourri multipliant les références et les hommages aux classiques du genre afin de cacher le vide abyssal qu’il habite en dépit d’une esthétique léchée. De dire que ce n’est que du déjà-vu, aussi bien filmé soit-il. Pour ma part, n’ayant vu que peu de comédies musicales, l’ensemble est frais et ravissant, avec autant de profondeur et de poésie, sinon plus, que celles que pouvait avoir un Midnight In Paris en son temps.

   En somme, La La Land est un feu d’artifice sensoriel à voir impérativement au cinéma. Un roller-coaster émotionnel au pays des rêves. Si à mon sens le terme feel good movie n’est qu’une excuse pour promouvoir des productions médiocres mais gentillettes, ce film est proprement une expérience dont vous ressortirez résolument heureux et transcendé. Amoureux de la musique, du rêve, de l’art et de la beauté, le film que vous attendiez est arrivé. Cessez toute activité, éteignez votre ordinateur, et courrez immédiatement le voir pour vous évader, votre humeur vous en sera reconnaissante.

Hugo Nikolov