H6, l’hôpital du peuple aux destins croisés

Bande annonce H6, 2021

L’hôpital du peuple N° 6 de Shanghai a accueilli en 2019 plus de 4 millions de patients soit 2 fois la population de Paris. Pourtant, dans cette grande machine à soigner, ce sont des petits destins que fait exister la réalisatrice franco-chinoise Ye Ye dans son documentaire H6.

Papa Chanteur est toujours heureux. Il passe ses journées à l’hôpital à chanter des classiques de la chanson chinoise pour sa fille hospitalisée qui l’entend depuis sa chambre. Papa Chanteur vient de perdre sa femme dans un accident de voiture dans lequel sa fille a eu les deux jambes brisées. Pourtant, il diffuse à longueur de journée une joie communicative.

Le Vieux Monsieur Amoureux, lui, donne toute sa tendresse à sa femme malade avec qui il est marié depuis des décennies. Il est attentionné et passe ses journées à l’hôpital, offrant des fleurs à sa femme alitée qui ne le reconnait plus. Le Vieux Monsieur Amoureux a vendu tout ce qu’il possédait pour payer les soins de sa femme.

C’est une Chine qu’on ne voit pas, que l’on n’imagine sans doute même pas que nous donne à voir la réalisatrice. Derrière les fantasmes géopolitiques du dragon chinois qui effraie tant le faucon américain. Au-delà des 1,5 milliards d’habitants qu’on imagine dociles, disciplinés et obéissants à la doctrine d’un Parti omnipotent, il y a des petites vies innombrables que magnifie Ye Ye.  Elle nous fait basculer dans son pays natal à l’aide d’une question à l’apparence toute simple : Qu’est-ce qu’un hôpital en Chine? Alors on rencontre Papa Chanteur, le Vieux Monsieur Amoureux, la petite fille et Nie Shiwu dont la vie croise l’immense hôpital du peuple N° 6 de Shanghai.

Dans cet infini anonyme, ils sont des pulsions de vie. Leur existence à l’écran a quelque chose à voir avec la fatalité des tragédies grecques, à la différence qu’ils ne subissent pas ici leur destin, mais plutôt leur manque d’argent. Ils ne meurent pas seulement parce qu’ils sont malades, ils meurent car ils ne peuvent se payer les soins qui les sauveraient. C’est une réalité que montre le film. Et puis il y a tous ces moments d’extases où les mots et les gestes s’approchent de ce qui est essentiel. On voit alors tourner une roue étrange où mort, amour, vie et souffrance se mêlent. Pourtant, tous ces petits destins semblent prêts à être absorbés par un univers hospitalier tentaculaire et grouillant. Des soignants par centaines, des perfusions préparées par milliers à la chaîne, mais  c’est pourtant là que se déploie toute la force de la narration. Tant de documentaires perdent le fil d’une histoire et se réduisent souvent à une expérience contemplative.  Ici, la force du récit permet d’éviter cet écueil vers lequel pousse la fascination pour cet immense hôpital. Il est donc remarquable, à ce titre, qu’H6 tienne aussi bien son propos sans s’écarter d’un ancrage réel. 

Drôle, tragique et délicat, H6 est sorti le 2 février. Foncez.  

Par Lucas Ryser