Grave : le pêché de chair

Phénomène médiatique depuis sa sortie, Grave incarne l’horreur humaine poussée à l’extrême : le cannibalisme. Entre érotisation et description de cette folie, Grave semblait introduire une nouvelle perception de cette pratique.

Disons le tout de suite, Grave est une réussite sur de nombreux points et je ne saurais que trop vous conseiller d’y aller. Ne vous inquiétez pas, rien n’est choquant gratuitement, tout est au service d’une esthétique, ce qui rend l’épreuve bien plus agréable. La scène d’exposition annonce sans ménagement l’esprit du film. Une femme se jette sous les roues d’une voiture sur une route de campagne, la voiture s’encastre dans un arbre et la femme s’approche progressivement de la voiture, comme un chasseur s’approcherait de sa proie. Puis avant qu’on puisse voir quoi que ce soit, la scène se coupe et passe à Justine demandant de la purée à la cafétéria.

Pour résumer simplement le film : Justine est végétarienne dans une famille de vétérinaires, tous végétariens. Elle rentre elle aussi en école de vétérinaire. Véritable première de la classe, elle est forcée lors de son bizutage à manger de la viande, ce qui lui donne un goût insensé pour la chair fraîche.

Pendant tout le film, Julia Ducournau réalise un travail sur le corps. Entre dégustation et sexualisation, le corps est au centre des préoccupations. Bien plus qu’un film sur le cannibalisme en soi, Grave est un film sur le corps adolescent, sur la découverte de soi et la découverte des autres. Toute cette réflexion est amplifiée par un travail sur le sang et la couleur rouge, qui crée une atmosphère glauque au service de l’angoisse. La musique composée par Jim Williams intensifie chaque scène, créant à elle toute seule l’ambiance morbide désirée.

Chose très peu montrée dans la bande-annonce, la famille est au centre de cette découverte. Justine s’oppose déjà à ses parents, farouches végétariens, en goûtant de la viande, en étant alors forcée par sa sœur. La famille est placée en toile de fond de toute l’histoire. Justine va devoir choisir son camp, entre ses parents et sa sœur, symbole du vice.

De manière générale, Grave est un très bon film. Pourtant, la volonté de gêner le spectateur se transforme parfois en un trop plein, qui va même jusqu’à provoquer le rire. Dans la salle où j’ai vu le film, des fous rires incontrôlables ont à plusieurs reprises éclaté, notamment dans la scène finale censée atteindre l’apogée du morbide.

Le film se veut différent et l’est réellement, tant dans la réalisation que dans l’histoire. Il présente le cannibalisme d’une manière étonnante : jamais il n’a paru aussi sain que de manger de l’humain. On ne voit pas Justine tomber dans la folie et céder à cette passion, mais bien un combat interne sur ce qu’elle doit faire ou non. Lorsqu’elle se décide enfin, elle laisse sa part animale surgir et la dominer. La jeune actrice incarne vraiment alors le prédateur à la recherche de proie.

Véritable coup de cœur, Grave est un des meilleurs premiers films que j’ai eu l’occasion de voir. Il aborde autant la mort, la tentation, la transgression que l’amour et la construction de soi, toujours de manière intelligente. Julia Ducournau comme Garance Marillier témoignent dans ce film d’un très grand talent, qui donne une impulsion folle au cinéma français.

David Lecaplain