Du Celsa à la création documentaire : interview de Phane Montet, réalisatrice

Comme vous peut-être, Phane Montet est passée par le CELSA. Membre du collectif de création documentaire Lundi Soir (dont nous vous avons présenté la 4e édition de leur festival Les Yeux Ouverts juste ici : …), elle travaille aujourd’hui dans le cinéma. De son premier film documentaire au podcast “Cinéphiles de notre temps”, elle nous a livré quelques anecdotes et conseils qui lui ont permis de nouer un rapport très personnel à son art.

Du Celsa à la création documentaire : le parcours de Phane

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours ? Vois-tu un lien, des résonances entre ce que tu as étudié au Celsa et ce que tu fais aujourd’hui ?

J’ai fait un bac général L puis le parcours classique hypokhâgne-khâgne. Je me suis présentée au concours du CELSA via la voie externe, en Magistère, la filière qui me paraissait être la plus théorique et générale. Je ne savais pas du tout ce que je voulais faire, j’avais dit à l’oral du concours que je voulais faire de la communication pour les théâtres !

Je me disais qu’en Magistère je pouvais m’investir dans tout si j’en avais envie. Bien m’en a pris, j’ai beaucoup aimé le CELSA, je me suis fait de bons copains, tous dans des parcours différents aujourd’hui. Nous avons eu des enseignants passionnants comme Joëlle Le Marec, Isabelle Le Breton, Emmanuelle Lallement, Thierry Devars ! C’est une petite école, et cela permet un peu plus de souplesse : on peut parfois se servir du matériel des journalistes, organiser des choses. Les associations sont top.

C’est donc l’esprit CELSA, plus que la communication qui t’a plu ? Tu as ensuite poursuivi tes études en te spécialisant dans le documentaire.

Je suis contente d’avoir fait des études de communication : je peux gérer la communication du podcast que je fais, aider sur des projets grâce aux outils pratiques que j’ai acquis. Au Celsa, on t’apprend aussi la débrouille. La communication est importante aujourd’hui, tu en as besoin et les gens qui n’ont pas fait d’école de communication ne savent pas trop faire et ne se rendent pas compte de son importance, c’est assez utile. Les cours théoriques le sont aussi.

Après mon diplôme du Celsa, j’ai poursuivi avec un autre Master de création documentaire, avec trois écoles différentes, l’ENS Cachan, l’École des Chartes et l’INA. Depuis, cette formation a un peu changé : elle est devenue payante et l’École des Chartes n’y est plus liée.

Après avoir entendu parler de ce diplôme, j’ai présenté mon dossier, réussi l’analyse de film et l’oral ! Tous les étudiants venaient de filières différentes mais c’était vraiment un master de théoriciens et de littéraires, ce qui correspondait à mon profil. On ne connaissait donc pas grand chose au monde professionnel du cinéma, mais on a pu apprendre beaucoup de choses, autant sur l’histoire du cinéma documentaire, que sur l’utilisation et la recherche d’archives, en passant par des courts techniques sur la prise de son et d’image – c’était un vrai bonheur !

J’ai réalisé mon documentaire de fin d’étude, Au revoir Bilal, autour de l’artiste Zoo project. En février 2020, je suis partie en Laponie sur ses traces. C’est là que se passe mon film actuel, et c’était comme un “voyage initiatique”, sans vouloir employer de grands mots. J’ai découvert ce que je voulais faire.

En juin 2020, j’ai commencé un service civique à Addoc [Association des cinéastes documentaristes] qui m’a permis d’apprendre plein de choses sur ce milieu du documentaire, m’a donné confiance en le monde professionnel et puis j’ai rencontré des gens super. Depuis mars je travaille sur mon film puis je vais travailler au festival Lumière (09-17 octobre 2021), pour coordonner la boutique DVD. On va monter une boutique éphémère, imaginer des événements avec les auditeurs, les DVD mis en avant selon les sorties et la sélection du festival, animer un blog. Cela n’a pas grand chose à voir avec le CELSA, hormis la débrouille, l’adaptation et l’efficacité.

As-tu l’impression que c’est la posture à adopter en tant que documentariste ? De savoir un peu tout faire, de ne pas avoir des réflexes trop fixés dans un métier particulier ?

Je pense que c’est un peu ma personnalité d’être comme ça. Je ne serai jamais une chef opératrice ou une ingénieure du son incroyable mais je saurai me débrouiller, puisqu’à partir du moment où j’ai une idée en tête et que je m’entoure des bonnes personnes, je sais vendre mon projet et raccrocher les wagons.

Au moment où tu as présenté ta candidature pour le Master de l’INA, que voulait dire le documentaire pour toi ?

C’est drôle car ce weekend [lors du festival], des gens disaient “c’est super, c’est plus qu’un documentaire, c’est un film !”. Mais oui !

Quand j’ai présenté le master de réalisation documentaire, je devais avoir vu quatre documentaires dans ma vie, dont Demain de Mélanie Laurent, un beau reportage et non un documentaire de création. Je ne savais pas ce que c’était, je n’avais jamais vu de films d’Agnès Varda ou de Chris Marker, qui sont considérés comme les pontes du documentaire de création. J’avais entendu parler de Shoah de Claude Lanzmann, car c’est au programme.

Je viens du monde de YouTube, du vlog, où tout le monde fait un peu du documentaire. Il y a encore une liberté sur internet : c’est un laboratoire, comme aux débuts de la TV. Pour entrer à l’INA, je voulais faire un projet documentaire sur les YouTubers qui se mettaient en scène, la nature de ce nouveau métier – dans le prolongement du CELSA finalement. En rentrant à l’INA, on a eu un cours sur l’histoire du cinéma documentaire et j’ai découvert des cinéastes comme Gianfranco Rosi (réalisateur de Below Sea Level, 2008 et Notturno, 2020) et Frederick Wiseman qui étudie toutes les facettes de son sujet et dont les films sont hyper riches.

© Lundi Soir

Lundi soir : collectif de création documentaire

Peux-tu nous présenter l’histoire du collectif ?

Au départ, c’est toute une promotion du Master DEMC (Le Documentaire : Écriture du Monde Contemporain) de l’Université Paris 7 – Paris Diderot qui s’est réunie. Un certain lundi soir, ils ont fait une soirée mémorable qui les a tous rapprochés et ils se sont dit qu’il fallait qu’ils fassent quelque chose ensemble. Pratiquement dès le départ, ils ont créé un festival dans le but de soutenir la jeune création documentaire, de commencer à faire des partenariats avec des acteurs du cinéma documentaire. Ils ont aussi initié des ateliers chaque premier lundi du mois, de manière non institutionnalisée.

Par exemple, pour le film de Yohan Guignard, Random Patrol (2020), des retours ont été faits sur le premier montage du film. Il y a aussi des retours sur des dossiers écrits. Cela fait deux ans que les ateliers d’écriture sont vraiment bien ancrés dans l’association tous les premiers lundi du mois et c’est vraiment comme cela que les gens rentrent dans l’asso. C’est très difficile de voir son dossier relu dans le monde du documentaire, et Lundi Soir permet ce moment précieux. Deux ou trois projets sont présentés par séance, deux ou trois lecteurs le lisent en amont et en discutent avec le réalisateur lors de la séance.

Faut-il avoir adhéré au collectif pour participer aux ateliers ?

C’est nécessaire pour être relu. Il y a aussi la possibilité d’être auditeur libre pour avoir une idée du déroulé d’un atelier.

Comment as-tu connu le collectif ?

J’ai connu Lundi Soir grâce à deux amies de mon Master à l’INA qui avaient été bénévoles pour la troisième édition du Festival Yeux Ouverts.

Fin 2019, une autre amie, avec qui j’ai fait mon documentaire radio de fin d’études à l’INA sur les facteurs d’instruments, m’a proposé de travailler notre dossier lors d’un atelier d’écriture. Le cadre, la qualité des retours et la bienveillance du collectif nous ont beaucoup aidées.

J’ai adhéré au collectif en qualité de lectrice car j’aimais bien lire des projets pour les ateliers. J’ai ensuite fait lire mon projet, celui sur lequel je suis en train de travailler, ce qui m’a bien servie. Surtout, lorsque j’étais à l’Addoc en Service Civique, ma cheffe était l’une des membres fondatrices de Lundi Soir. D’autres copains œuvraient déjà au sein du collectif et je me suis dit “pourquoi n’y suis-je pas rentrée avant ?” !

Ce qui a parfois pu me manquer à l’Addoc, c’était des réalisateurs de ma génération, ayant les mêmes problématiques, notamment liées à l’intermittence et au monde dans lequel on vit, qui change en permanence et notamment les manières de réaliser, produire et diffuser des films. À Lundi Soir, on a la même vision du documentaire.

Le podcast “Cinéphiles de notre temps”

Veux-tu nous parler un peu plus de ton projet Cinéphiles de notre temps ? Pourquoi avoir choisi le format podcast ?

Pendant ma dernière année au Celsa, mon ami Clément Coucoureux m’a proposé de se lancer avec lui sur un podcast autour du cinéma. On a réfléchi ensemble pendant huit mois avant de lancer “Cinéphiles de notre temps” en avril 2019 : on y aborde la cinéphilie avec des portraits intimes de nos invités, avec qui on partage un temps privilégié.

On a choisi de faire ce podcast avec des grandes thématiques : la mémoire, l’oubli, la transmission, les circonstances de visionnage. On pose des questions très ciblées en fonction de la personnalité de notre invité. Cela fait deux ans que l’on met en ligne un épisode de manière mensuelle, sur des personnalités du cinéma mais pas seulement !

Le CELSA m’a en partie appris à être à l’écoute de son interlocuteur, à être dans l’accompagnement d’un univers artistique. En Magistère, je me souviens qu’au moment de faire un portrait professionnel, nous avions choisi de faire un portrait radio, un podcast !

J’aimerais que le mot “cinéphile” soit plus facilement utilisé, mais c’est encore un gros mot. J’adore discuter avec les gens car il y a toujours plein de portes pour discuter des films autrement. Clément a une connaissance encyclopédique du cinéma, je ne pourrai jamais rivaliser avec cela, et je n’en ai pas envie ! Mais on se complète bien, et j’aime le regard qu’on porte tous les deux sur le cinéma et sur nos invité·es, tout en ayant des cultures et des sensibilités très différentes. L’objectif est d’avoir un rapport au cinéma que j’aime. Ce sont mes rapports aux autres qui m’ont menée vers une cinéphilie plus pointue, plus conséquente.

Comment s’organise votre duo ?

On prépare les questionnaires ensemble avec Clément, on écoute tous les deux au casque pendant l’interview. On fait également le montage ensemble, même si c’est davantage Clément qui gère la partie technique. 

Quant au choix des invités, notre but n’est pas forcément d’interviewer des grands pontes du cinéma, mais d’interroger des gens auxquels on ne pense pas forcément et qui ont une cinéphilie vraiment sensible. Même lorsque l’on rencontre des théoriciens, la forme du questionnaire leur permet de ne pas tomber dans des discours trop intellos ou trop analytique et parler plus de leur émotion et de leur rapport intime au film.

Recommandations documentaires

Des films à regarder, que l’on soit habitué ou non au genre documentaire ?

L’envers d’une histoire (2017) de Mila Turajlic, pour comprendre comment on se réapproprie son Histoire

Les glaneurs et la glaneuse (2000), d’Agnès Varda – parce qu’Agnès Varda est vraiment forte, et drôle.

J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd (2015), de Laetitia Carton, parce que c’est profondément humain et beau, et parce que c’est l’une des seule réalisatrices qui est allée à Cannes en compétition avec un documentaire.

J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd, Laetitia Carton (2015)

Le voyage de Monsieur Crulic, d’Anca Damian (2011) et Chris the Swiss d’Anja Kofman (2018), deux documentaires animés qui utilisent vraiment bien l’animation.

Et puis du Chris Marker à foison, du Marie Losier, du Gianfranco Rosi, et soutenir les documentaires présents en salle, comme le film de Para One Spectre : Sanity, Madness, & the family, un film documentaire qui mérite d’être soutenu !

Liens utiles

Propos recueillis par Salomé Hallensleben et Lucile Nivelle.