Watching Grey’s Anatomy : Shonda Rhimes, shondaland et rebondissements

Depuis 2005, cette série a sauvé des vies, inspiré des vocations, et révolutionné notre vision des soap opera. Grey’s Anatomy, c’est le défi titanesque et un peu dangereux que je me suis lancée mi-août. Mais quelle est cette force qui nous pousse à continuer saison après saison ? 

Savon et succès 

Résumer l’intrigue d’un épisode vous donne l’impression d’être dérangé, mais pour autant, vous appréciez chaque saison qui traumatise encore plus ses personnages. Soap opera, telenovela, drama ou feuilleton, peu importe le nom : l’intrigue est toujours alambiquée, mais c’est ça qui nous plaît aussi. 

Résumer à voix haute ce qu’il se passe dans un épisode vous fait questionner votre bon sens : tu comprends là machin vient de perdre le père de ses enfants et le résident qui a raté l’opération sort avec l’ex de l’ex de sa sœur qui est morte dans un accident deux saisons plus tôt. 

Hors du contexte, si vous n’avez pas vu la série, vous vous posez sûrement une centaine de questions. La mienne, c’est : comment faire durer une intrigue sur 17 saisons de 20 épisodes de 40 minutes ? C’est le secret de Shonda Rhimes, qui a su nous ravir avec d’autres séries légendaires comme How to Get Away with Murder, Scandal et la toute récente Inventing Anna

Shonda Rhimes, c’est le nom derrière les séries immanquables d’aujourd’hui. Scénariste, réalisatrice et créatrice de Shondaland – sa société de production-, elle a quitté ABC et signé en 2017 un contrat exclusif avec Netflix, les premiers résultats Bridgerton – dont la saison deux sort le 25 mars – et la mini série Inventing Anna sortie le mois dernier et que le monde entier a joyeusement  bingé. 

Inventing Anna 

Diversité et représentativité 

Shonda Rhimes est avant tout l’élève de Debra Martin Chase, la première productrice Afro Américaine à avoir signé un contrat de grande envergure avec Disney. Chase est derrière l’adaptation iconique de 1997 de Cendrillon, et l’intégralité de la franchise des Cheetah Girls, mais aussi le Disney Channel Original Movie Lemonade Mouth. C’est elle qui a inspiré Shonda Rhimes qui déclare : « I don’t understand why people don’t understand that the world of TV should look like the world outside of TV. » 

Et c’est cette optique de diversité qui se retrouve au cœur des projets du shondaland. Scandal et How to Get Away with Murder nous proposent des femmes noires au sommet de leur carrière comme personnage principal. Bridgerton ose enfin un period drama avec un casting légèrement plus représentatif, qui ajoute une dimension supplémentaire aux travaux de Julia Quinn. 

La Reine Charlotte dans Bridgerton entourée de ses suivantes

Personnages puissants et multidimensionnels 

Grey’s Anatomy nous propose un ensemble varié de femmes puissantes qui n’ont pas peur de leur ambition. Elles tombent et se relèvent – avec une jambe en moins parfois- mais elles affrontent leur traumatismes. Shonda Rymes écrit sur les addictions, les handicaps, l’avortement, le cancer, Alzheimer, les chocs post traumatiques liés à la guerre ou les accidents. Elle parle d’amour certes, mais d’un amour tempêtueux qui se veut plus réel, et son thème principal reste la fragilité de la vie humaine et de la famille. Et c’est peut-être ça qui fait la magie de ses projets. 

How to Get Away with Murder se construit comme un puzzle plus sombre qui joue sur la tension avec le spectateur et nous offre Viola Davis dans un de ses rôles les plus majestueux, celui d’une avocate traumatisée dont l’ombre attire la mort. 

Shonda Rymes est une femme qui écrit des femmes pour les femmes – elle n’hésite pas à le dire en parlant de Grey’s Anatomy – et c’est peut-être pour ça qu’elle saisit ces arbitrages qui nous touchent toutes dans nos vies. L’un des personnages les plus remarqués reste Cristina Yang, interprétée par Sandra Oh, chirurgienne cardiologue qui ne s’excuse pas pour ce qu’elle est et sait demander de l’aide auprès de ceux qui lui souhaitent le meilleur.

Sandra Oh, Scott Garfield et Sara Ramniez dans Grey’s Anatomy 

La recette magique  

Au-delà des intrigues, il y a des détails qui polissent l’apparence des séries du shondaland. Une des signatures sont les reprises acoustiques de nos morceaux préférés. Historiquement exacts ou non, les costumes de Bridgerton reflètent notre imaginaire de la période de la régence britannique, et ceux d’Inventing Anna nous ramènent à ce look des années 2010 que nombreux tentent d’oublier désespérément.

Les séries du shondaland jouent avec les éléments du réel, et leur malléabilité. Inventing Anna construit une intrigue où sont floutées les limites entre la réalité et la vérité de chaque personnage. Mais la vraisemblance médicale titanesque dans Grey’s Anatomy, l’analyse très précise de la communication de crise dans Scandal ou tout bonnement le droit et la jurisprudence américaine dans Murder, dévoilent le souci du détails qui animent Shonda Rhimes. 

Se saisir des ressorts du réel pour le plier dans des intrigues captivantes, c’est ça la beauté de ses séries qui se confectionnent épisodes par épisodes comme les chapitres de ses romans que l’on dévore avec toujours le même appétit. 

Un peu de réalisme émotionnel 

Au-delà du filtre rose cherche à dévoiler les qualités dans ces films et séries dits « populaires ». Lorsque l’on se déclare amateur de série ou de cinéma, il y a une impulsion à se distancier de ces séries dites populaires, et de chercher ce film indépendant underground que dix personnes ont vu au festival Moutarde et Cinéma de Dijon.

Regarder Grey’s Anatomy, Gilmore Girls ou Glee satisfait quelque chose en nous, ce besoin de rire, de trembler, de se réjouir pour des personnages fictionnels. Peu importe si l’histoire est vraisemblable ou non, l’intrigue importe peu finalement, ce qui compte c’est la réception, la manière dont nous réagissons face aux séries et ce qu’elles nous apportent dans la vie. Le shondaland répond à cette problématique. Shonda Rhimes comprend l’importance du public, le plaisir qu’il a dans le visionnage de ses séries et si elle peut inclure un message engagé intersectionnel, c’est tant mieux. 

Ce qui reste, l’arrière goût après le visionnage, c’est un aspect émotionnel: c’est l’empathie. Destinées à la multitude, et regardées par des millions, ses séries nous touchent malgré tout par leurs thèmes respirant l’universalité. 

Membres du casting de la saison 12 de Grey’s Anatomy 

Shonda Rhimes crée des personnages multidimensionnels, intersectionnels, et nous confronte à des problématiques d’actualité. Avec finesse, elle fait de la télévision le lieu des déchirements et nous pousse à nous poser ces questions :  Que faire à leur place ? 

Je vous invite à jeter un coup d’œil sur le site du shondaland qui propose un ensemble de podcasts et d’articles sur la vie, la santé mentale et la culture, et d’aller écouter les deux TED Talk de Shonda Rhimes qui sont inspirants. 

Jeanne Streng

Sources

L’article s’inspire de la réflexion de Ien Ang dans Watching Dallas: Soap Opera and the Melodramatic Imagination sur le réalisme émotionnel dans les séries dites populaires.