Vincent n’a pas d’écailles – Entretien avec Thomas Salvador

Thomas Salvador est réalisateur et acteur. Il a tourné de nombreux court-métrages ces dernières années, dont De sortie, primé au Festival du Cinéma Européen en Essonne, en 2008. Vincent n’a pas d’écailles est son premier long métrage et sortira en salle le 25 février 2015. Il nous a été présenté lors du 16ème festival du Cinéma Européen en Essonne. C’est dans ce cadre que nous avons pu rencontrer le réalisateur Thomas Salvador et sa productrice, Julie Salvador.

Synopsis du film

Vincent n’a pas d’écailles mais dès qu’il entre au contact de l’eau, il développe des capacités physiques surhumaines. Il nage vite, fait des sauts de dauphin et des bonds de lapin. Mais Vincent n’est pas un super héros. C’est un homme banal qui doit vivre avec ses facultés hors du commun. C’est l’été, il travaille, voit des copains, tombe amoureux. Mais un jour, pour défendre son ami, Vincent fait usage de sa force. Et là commence une course poursuite effrénée pour échapper à la police.

Naissance du film

Thomas Salvador commence par nous expliquer comment cette idée a mûri au fil des années pour donner un scénario, puis un film. Ce sont des images qui l’animent d’abord. Voir un homme qui glisse dans l’eau, en décalage avec ce que l’on peut voir d’habitude. Cet homme serait surpris dans un endroit où l’on ne se baigne pas en temps normal. L’idée était de jouer avec cet élément qu’est l’eau, notamment avec l’apparition et la disparition du personnage. Il semble que Thomas Salvador soit attaché à l’esthétique, au rendu de l’image à l’écran. Il nous avoue d’ailleurs avoir adapté son scénario sur le terrain avec les décors et les acteurs.

Il faut dire qu’au début, il commence par une écriture très hollywoodienne avec des scientifiques russes et des hélicoptères qui pourchasseraient le héros pour ses pouvoirs surnaturels. Puis au fil de l’écriture, le récit se dépouille, s’épure et on voit naître une histoire qui s’ancre dans davantage de simplicité.

« Un super-héros très poli »

Thomas Salvador reconnaît sa passion pour les films de super-héros hollywoodiens. C’est un rêve d’enfant avant tout, « on joue à… ». Il cherche à créer un univers singulier et loufoque dans lequel il pourra faire entrer le spectateur. Parce que tout le pari du film réside dans la crédibilité de son histoire. « Et imagine on n’y croit pas ! ». Il faut dire que le pari est réussi. Thomas Salvador nous donne à voir le super héros le plus banal qui soit. Pour lui, ce n’est d’ailleurs pas un super-héros, puisqu’il est français et les deux sont par essence incompatibles. A aucun moment il n’a voulu faire un film de super-héros, qui n’aurait été selon lui qu’une pâle et ridicule copie des grosses productions américaines. Son héros à lui, Vincent, est seulement responsable de lui, de son quotidien, de ceux qui l’entourent. « Il ne va pas sauver la planète », nous dit-il. Puis avec beaucoup d’ironie il ajoute : « Quel super héros il pourrait être ? Un super maître nageur ? AquaMan ? ».

Le cinéma comme terrain de jeu

Thomas Salvador semble vouloir faire du cinéma quelque chose de magique et de ludique. Tous les effets spéciaux sont des trucages et à aucun moment il n’y a une utilisation du numérique. Outre les économies que cela implique, c’est aussi un désir de réalisme. Toutes les scènes ont été tournées dans l’eau, même à 9°C. Et de cette manière, on voit la résistance de l’eau au corps qui en sort, quitte à ce que les effets soient moins impressionnants. On apprend alors que les sauts sont faits à l’aide de trampolines, d’élastiques et de planches coréennes qui ont été effacés au montage, et que sa rapidité, il la doit en partie à une mono-palme. Ces astuces, Thomas Salvador les invente en même temps que le scénario, sur de petits croquis. Il fallait que le spectateur se prenne aussi au jeu ensuite, sinon cela aurait pu être complètement ridicule. Mais malgré ce côté ludique et léger, il y a un grand sérieux dans ce qui est filmé. Il nous avoue avoir été surpris des rires provoqués par certaines scènes, qu’il avait pourtant tournées sans ironie. Thomas Salvador construit un univers nouveau dans ce film, complètement singulier et qui semble être totalement à son image. Il y a beaucoup d’investissement dans son travail. Et quand il nous parle, il y a parfois des airs de Vincent…

Et le financement alors ?

Avec un pari aussi fou, la question du financement se pose. Comment, avec un scénario aussi loufoque, réussir à obtenir la confiance avant la réalisation ? C’est d’une part grâce à « un distributeur un peu fou », je nomme Le Pacte et son président Jean Labadie. Ensuite, l’avance sur recette du CNC, qui constitue un bon départ. Puis vient un gros financement de la part de Canal+, qui n’était pas gagné de prime abord. Et cela à cause d’un seul problème : comment classer le film ? Il y a des catégories bien définies, auxquelles Vincent n’a pas d’écailles a visiblement du mal à convenir. Finalement, film d’auteur il sera.

Le silence, une prise de risque ?

Dans le film, on remarque peu de dialogues. Le personnage est discret, la communication est surtout visuelle. Thomas Salvador préfère « montrer par le cadre, le rythme, les raccords ». Pour lui, il ne faut pas être gêné de ne pas tout savoir sur le personnage, c’est comme dans la vie. Il n’est pas dérangeant, voire même important, de laisser du mystère dans le hors champs. On retrouve d’ailleurs dans son film de nombreuses ellipses narratives, sans réelles transitions entre les scènes, qui semblent avoir été juxtaposées. Le but pour lui n’était pas d’observer le travail d’introspection d’un homme qui se demanderait pourquoi il est comme ça. Le pari était de montrer comment vivre avec, humainement. Et c’est pour cela que les seconds rôles ont une place primordiale dans le récit. Avec son amoureuse, Lucie, la communication est facile, elle se fait beaucoup par les gestes et les regards. Il n’y a pas de questionnement et d’explication interminable. Elle l’aime et elle l’accepte. Les seconds rôles nous aident à croire en l’histoire car il donnent toute son humanité à Vincent. Si Lucie croit, accepte et comprend la singularité de Vincent, alors le public peut y croire aussi. Et pour faire passer le message, le réalisateur considère que l’on n’a pas besoin de paroles. Un récit bien construit au cinéma ne requiert pas toujours de commentaires.

Pourquoi un tel titre ?

Ne pas survendre, ne pas mentir. « Vincent, c’est un mec normal ».

Et en effet, le titre est à l’image du film qu’il est si difficile de définir : premier film français d’auteur de super-héros banal mais drôlement poétique. Ça fait long, et on n’a pas fini d’en parler.

 

Vittoria Durand, le 15 novembre 2014.

Voir aussi la critique du film.

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