Une rétrospective Aronofsky, par Aurélien

Une rétrospective Aronofsky
(quelques bonnes raisons d’aller voir ou revoir les films qui ont lancé sa carrière)

Alors que Noé, encore en salle, est loin de faire l’unanimité parmi les spectateurs, j’incite ceux qui découvrent le réalisateur comme les connaisseurs à revenir sur les précédents long-métrages d’Aronofsky, qui sont des pépites du cinéma contemporain. Retour plus particulier sur les débuts d’un jeune réalisateur talentueux qui n’a sûrement pas fini de nous offrir des chefs-d’œuvre.

Darren
Les premiers pas, Pi (1998)

Pour clore son cursus de cinéma et d’anthropologie à l’université d’Harvard, le jeune Darren réalise un court métrage de fin d’étude, Supermarket Sweep, avec le futur acteur Sean Gullette (qui jouera notamment dans Pi, Requiem for a Dream et The Fountain), qu’il a rencontré là-bas. Le succès de ce film étudiant lui ouvre les portes de l’American Film Institute, où il perfectionne ses techniques de réalisation. En novembre 1997, il réunit 60 000 $ pour tourner son premier long-métrage, Pi, co-écrit avec Gullette, qui joue le personnage principal, Max.

Ce film à petit budget, tourné à New York sans autorisation, nous narre la quête d’une séquence de chiffres régissant la Nature comme les fluctuations boursières par l’asocial mathématicien génial (ou fou) Maximilian Cohen. Accompagné dans son travail de recherche par un ordinateur surpuissant qu’il a construit lui-même, Euclide, et son professeur de mathématiques, maintenant à la retraite, Max est obsédé par ses recherches et son état de santé s’aggrave à mesure qu’il approche du but : migraines fulgurantes, visions, se font plus fréquentes. Mais le danger vient aussi d’un groupe de kabbalistes et d’une grande société financière qui cherchent à faire main basse sur le secret que Max va percer à jour.

Le film qui va faire découvrir Darren Aronofsky au grand public contourne habilement les contraintes financières auxquelles il est soumis pour en faire sa force. Dans un huis-clos angoissant ou seul le point de vue du protagoniste nous est donné, Aronofsky nous offre une vision mystique des mathématiques et de la logique mathématique, qu’il rapproche de la religion. La pellicule choisie, offrant un noir et blanc très contrasté, et la bande originale signée Clint Mansell, qui allie rythmes répétitifs, aigus discordants et sons futuristes, contribuent grandement à instaurer une atmosphère sombre et délicieusement angoissante qui tient le spectateur en haleine jusqu’au dénouement. Un montage audacieux enchaînant rapidement de nombreux plans accentue le côté saccadé et haletant du film, dans une tension presque érotique et malsaine entre Max et sa science. Le tout est enfin sublimé par le cadrage du réalisateur qui abuse des gros plans et des mouvements de caméra pour rendre compte des vertiges et des doutes d’un Max brillamment interprété par Sean Gullette.

Requiem for a Dream (2000)

Surfant sur son précédent succès (artistique comme commercial, vu son budget), les producteurs attendent le prochain film d’Aronofsky. En lisant Requiem for a Dream, le jeune réalisateur a un coup de cœur et décide d’adapter le roman de Hubert Selby Jr. Fidèle au texte, il travaille avec l’écrivain pour écrire le scénario du film éponyme. Là encore, son projet est couronné de succès. Le film construit en parallèle la lente descente dans la drogue et l’addiction de quatre personnages : Sara Goldfarb, une veuve retraitée qui vit seule et rêve de passer à la télévision, son fils Harry et sa compagne Marion Silver, aspirant à devenir styliste, ainsi que Tyrone Love, son meilleur ami. Apprenant son invitation à un show télévisé, Sara désire retrouver sa beauté de jeunesse et commence un régime avec l’aide d’amphétamines. Les trois jeunes, accros à l’héroïne, essaient de sortir de leur situation miséreuse en participant temporairement au trafic de drogue à Coney Island. Mais les rêves des quatre personnages sont de plus en plus illusoires à mesure que leur dépendance à la drogue grandit, et leur addiction va les conduire à leur perte.

De nouveau aidé par des acteurs talentueux dont Aronofsky tire le meilleur (notamment Ellen Burstyn dans le rôle de Sara, nominé pour l’Oscar, mais également Jared Leto qui perdit 13kg pour incarner Harry ou Jennifer Connelly qui joue Marion), Darren réussit son pari. Il pousse plus loin ses techniques de montage, avec plus de 2000 plans rapidement enchaînés en une heure quarante quand un film standard en compte 700. La bande-son, toujours composée par Clint Mansell, est majoritairement interprétée par le Khronos Quartet, un quatuor à cordes californien. Mais Clint y ajoute également des passages électroniques et de nombreux bruitages pour en faire une bande sonore rythmée aux nuances importantes, qui passe de moments plus calmes ou nerveux à de dramatiques crescendos finissant en apothéose. La caméra alterne les prises de vue, jouant toujours sur les gros plans, les tremblements et la vision subjective des personnages, ce qui avec le rythme effréné happe le spectateur dans l’action, mais y ajoutant des moments plus calmes où de lents travellings (contrastant parfois avec le temps accéléré) ou tourbillons sur plans larges font prendre du recul sur le déroulement narratif. Dans ces scènes souvent muettes où l’accompagnement musical se fait plus fort, le spectateur prend pleinement conscience de la tragédie qui se joue sous ses yeux et à laquelle il assiste impuissant. La drogue en elle-même n’est pas ce qui intéresse Aronofsky, mais c’est l’addiction qui requiert son attention : grâce aux superbes plans rapides et répétés qui montrent la prise de drogue, le réalisateur nous montre à quel point il est facile de tomber dans la dépendance, à travers des gestes si machinaux qu’ils deviennent indolores. Et à travers Sara, on en vient à se demander quelle drogue est plus néfaste : celle qui est légale ou celle qui ne l’est pas ? Un film exceptionnel où les acteurs réussissent parfaitement à nous faire ressentir leur personnage, dont la détresse est palpable dans la multitude de séquences où leur visage nous est offert.

 

Les deux premiers long-métrages d’Aronofsky, salués par la critique, ont donc permis au réalisateur de se faire connaître et apprécier des spectateurs ainsi que des grandes entreprises de production. Néanmoins, les déboires durant le tournage et à la sortie du très controversé, onéreux et plus difficile d’accès The Fountain, lui retirent les faveurs d’Hollywood, et les moyens à sa disposition pour The Wrestler sont plus limités. Néanmoins, depuis le succès du film emmené par Mickey Rourke et le Lion d’Or obtenu à Venise en 2008, puis le carton international de Black Swan (5 nominations dont un titre pour Nathalie Portman aux Oscars, 329 millions de dollars au box-office), Darren Aronofsky semble faire un sans-faute. Que Noé vous ait plu ou non, allez donc jeter un œil sur ses anciennes réalisations, elles valent toutes le détour, qu’on les apprécie ou pas, tant Aronofsky impose un style particulier rend ses œuvre uniques.

Aurélien, du Ciné-Club de HEC.

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