The Cook, the Thief, His Wife and Her Lover

On se délecte sans fin du film de Peter Greenaway : The Cook, The Thief, His Wife & Her Lover, qui choquait lors de sa diffusion à Cannes en 1989, et qui continue encore aujourd’hui d’avoir l’effet d’un électrochoc.

L’histoire est simple – ce qu’on lui pardonne, puisque les symboliques de l’incroyable mise en scène compensent sa légèreté. Georgina (Helen Mirren) est mariée à un voleur, le tyran Albert Spica (Michael Gambon) qui possède un prestigieux restaurant de gastronomie française. Lors d’un banal dîner, Georgina fait la rencontre d’un libraire du nom de George (Alan Howard). Dès lors, il s’agit de trouver des tactiques pour donner lieu à un amour interdit, un amour secret, mais ô combien libérateur. Le grand Chef du restaurant Richard Boarst (Richard Bohringer) se retrouve lui aussi impliqué dans la romance, et tente de l’aider à subsister.

La mise en scène du film est extrêmement léchée, donnant à voir la poésie dans l’image, la grâce dans la pantomime, ou la minutie dans la chorégraphie des acteurs. En effet, The Cook, The Thief, His Wife & Her Lover adresse de nombreux clins d’œil a la peinture (de Vermeer, de Van Hoyten), à la littérature ou même à l’histoire de France. L’œuvre de Peter Greenaway est extrêmement riche : de l’architecture (on découvre une symétrie implacable dans chaque lieu, structurant le cadre au même titre que le choix des couleurs du décors et des costumes) à la danse (les personnages évoluent dans le cadre une chorégraphie réglée au millimètre près, les laissant évoluer entre les différents espaces comme dans un ballet) ou à la musique (la composition de Michael Nyman se fait mimétique du ton de l’action – qu’elle soit dramatique, comique ou pathétique), en passant bien évidemment par le théâtre ; le cinéaste accorde un immense soin à la présentation de tous les arts. Il a d’ailleurs choisi le grand couturier Jean-Paul Gaultier pour la création des costumes, tous plus impressionnants les uns que les autres, et le Chef italien Giorgio Locatelli pour la préparation de la nourriture apparaissant à l’écran.

« Tous les problèmes qui se posent aux cinéastes ont été un jour ou l’autre abordés par les peintres » Peter Greenaway

Ainsi, le décor est tant travaillé qu’il va jusqu’à prendre le pas sur la mise en scène, et reflète les émotions les plus ponctuelles des personnages. Chaque lieu devient un système unifiant la narration (le lieu central étant le restaurant français Le Hollandais) tout en marquant ses fortes oppositions (qu’elles soient dans les caractères des protagonistes ou dans leur mode de vie). On assiste à l’effacement des frontières physiques traditionnelles, afin d’ouvrir le champs à l’intériorité, à l’esprit et le sentiment amoureux.

L’amour guide le film, avant tout par sa cruauté : celle que fait subir Albert Spica sur Georgina. L’ultra-violence conjugale est traduite par de nombreuses lumières rouges, comme celles de la salle de restauration, où le voleur se représente en maître tyrannique. Elle transparaît également dans le jeu d’acteur de Michael Gambon, très exagéré, parfaitement répugnant dans son rôle. Il jure, il crache, il tabasse et mange comme un glouton, choquant encore plus lorsque la délicate Georgina est à ses côtés. Cette agression permanente contraste avec l’amour dévoué, pur et sensuel de l’amant. Dès lors, Greenaway joue avec des images poétiques, revêtant jusqu’aux toilettes une beauté qu’on leur ignorait. Mais tout le romantisme de Georgina et du libraire ne fait qu’accentuer l’aspect tragique de l’œuvre : le film est en effet construit comme une catharsis géante et bien ficelée. Elle secoue le spectateur de frissons devant l’horreur cannibale ou la violence de genre et de classe. Peter Greenaway cherche à purger l’homme de ses vices en les soulignant un à un dans leur extrême, à la manière d’une tragédie grecque. Tous les éléments sont d’ailleurs rassemblés : l’unité de temps (à travers des actes, sous forme d’élégants Menus), celle de lieu (très peu nombreux ni clairement définis, également liés par des travellings monumentaux d’un décors à l’autre) et, celle d’action. On retrouve même le cœur antique, chantant sur des airs d’opéra.

La conclusion de The Cook, The Thief, His Wife & Her Lover est loin de nous laisser sur notre faim. Ce film est d’ailleurs fortement recommandé en ces temps agités, puisqu’il s’agit avant tout d’un récit d’émancipation et d’empowerment comme on les aime. Il est à voir et à revoir, afin de l’apprécier dans toute sa richesse, faite de détails, de subtilités et de minutie.

Alice Rebourg