Projection n°2 : “HOUSE OF CARDS”, épisode 1

HOUSE OF CARDS

     « L’inquiétante étrangeté » freudienne  apparaît comme le fil rouge de cette série. Le TV-spectateur est réellement mal-à-l’aise devant son écran. Cette atmosphère suspecte est créée dès les premières secondes, puisqu’on nous montre un accident, épisode qui survient généralement en fin d’épisode afin de maintenir le spectateur en haleine. La tension monte lorsque le personnage principal s’approchant du chien qui vient de se faire renverser par une voiture décide d’abréger ses souffrances avec une indifférence à glacer le sang. Cynique et impitoyable, telles seront les caractéristiques de ce sénateur.

     Franck Underwood interprété par Kevin Spacey possède un caractère ambivalent. Le spectateur s’interroge beaucoup à son sujet. Est-il bon ou mauvais ? Hypocrite avec ses collaborateurs et lucide sur les méfaits qu’il commet. Désabusé, sans aucun doute. Le manichéisme traditionnel des séries américaines qui distingue les héros immaculés des truands machiavéliques est ici brouillé. Pour le décrire rapidement, on dira qu’il est un manipulateur hors pair qui passe au crible les rouages de la politique américaine et ce jusque dans ses plus sombres recoins. Le cynisme, il en a dans les dents comme du caramel. Quant au pouvoir, il le convoite plus que tout au monde. La manière dont il évolue dans l’espace le place toujours dans une position de supériorité par rapport à ses interlocuteurs. Au cours de l’échange, il les domine en étant debout, alors que les autres sont assis. Ainsi, même en situation d’échec, il apparaît à l’écran comme vainqueur. Lorsqu’on lui annonce qu’il n’aura pas le poste de secrétaire général, il est dressé devant la femme, menaçant. Cette position de surplomb est récurrente au cours de l’épisode.

     Outre un anti-héros en guise de personnage principal, choix qui est de plus en plus fréquent dans les séries (Breaking bad, Dexter …), l’originalité de cette série tient dans l’adresse au Tv-spectateur qui rompt l’illusion fictionnelle. Cela nous rappelle entre autres A bout de souffle de Godard.  Le spectateur est d’abord déconcerté ; mais surtout pris à partie, puisque le sénateur s’adresse directement à lui. Ce regard face caméra exhorte le spectateur d’entrer pleinement dans la fiction. Alors que d’ordinaire, le spectateur reste passif et choisit, seul, son personnage préféré, ici on ne lui laisse pas le choix. Bon gré, mal gré, il est aux côtés de Franck Underwood qui lui explique méthodiquement toutes ses actions et ses pensées. La fiction exerce un pouvoir coercitif sur le spectateur auquel ce dernier n’est pas habitué.

     La thématique du pouvoir imprègne la série. Or, celui-ci est intrinsèquement lié aux lieux, comme l’affirme Franck Underwood au cours de l’épisode. Les cérémonies d’inauguration, l’investiture, les bureaux des différents hommes politiques du gouvernement, le domicile des hommes politiques, les bureaux de la rédaction du journal, l’appartement de la journaliste. A chaque lieu correspond une tenue, un ton et un rapport d’autorité spécifiques que les personnages adoptent avec plus ou moins de succès. L’importance des lieux est souligné dès le générique car celui-ci est totalement désincarné. Les différentes institutions du pouvoir américain défilent successivement sous nos yeux. Cela suggère que ce sont les lieux qui accordent le pouvoir aux hommes qui les occupent. Ces derniers sont des pions interchangeables qui évoluent dans des  lieux au pouvoir d’autorité immuable. Il convient de distinguer deux mondes antagonistes qui s’influencent mutuellement. La question est de savoir en quoi le monde journalistique peut influer sur celui politique, tout en restant hermétiques l’un à l’autre ? Les rencontres entre le sénateur et la journaliste se tiennent au musée ou dans l’intimité du sénateur. Informelles et officieuses, elles attestent de l’imperméabilité de la frontière entre ces deux sphères.

     Si notre attention se porte sur la manière dont nous est présenté le monde de la politique, il est flagrant de remarquer que celui-ci semble déconnecté de sa fonction principale : celle de servir un peuple. Jamais les mots peuple, citoyens, ou société ne sont prononcés. Le gouvernement dirige sans se préoccuper du bien-être des citoyens. Les décisions prises sont de réponses à des promesses de campagne. Par exemple, Franck Underwood devait être secrétaire général après avoir soutenu la candidature du président. Le projet de réformes de l’éducation n’est pas choisi dans le but d’améliorer les conditions des enfants, mais simplement en vue de valoriser l’image du gouvernement. Autrement  dit, les hommes au pouvoir manifestent un désintérêt complet à l’égard du monde extérieur.  Ils ne cessent de s’échanger des services et de se faire des promesses quand ce n’est pas de se faire chanter. Un monde politique autocentré et narcissique, avide de toujours plus de pouvoir : telle est la représentation qui nous est peinte. Quant à celle des femmes, elles n’est pas meilleure.

     La position de la figure féminine n’est en effet pas politiquement correcte. Elles apparaissent comme des sous-fifres. La femme du Sénateur ne s’adresse à lui que pour lui suggérer de changer de coupe de cheveux ou de choisir tel ou tel costume. L’apparence semble la seule préoccupation légitime pour les femmes. Les secrétaires sont celles avec lesquelles les hommes politiques couchent sans réellement les respecter. Le ton et le vocabulaire que les hommes emploient à leur égard sont empreints d’une condescendance flagrante. On se rappelle tous ce moment savoureux durant lequel au lieu de dire « je t’aime », Doug Stamper (Michael Kelly) lance un « suce ma bite » provocateur.  Difficile donc pour les femmes de se faire respecter.  La jeune journaliste n’est pas épargnée. Son premier contact avec le Sénateur est possible grâce à une photo sur laquelle il lui reluque le postérieur.  Lorsqu’il l’accueille dans son appartement, elle use d’un décolleté pigeonnant pour l’intéresser. Enfin, elle est aux toilettes, lorsque son article qui va lui accorder crédibilité et succès dans le monde journalistique, déclenche une vague d’étonnement sans précédent. Ce sont donc des femmes potiches auxquelles les hommes demandent d’être belles et élégantes pour les servir dans le monde politique.

     Après ces quelques observations, on peut s’interroger sur l’intrigue en elle-même, qui reste l’élément primordial pour donner envie de continuer à regarder la série. A la fin de ce premier épisode, le mystère reste entier. Quelle sera la nature de la revanche élaborée par Frank Underwood ? Envisage-t-il une candidature aux prochaines élections présidentielles ? Ou préférera-t-il s’en tenir à récupérer la place de secrétaire général au gouvernement?

Analyse et réflexion menées par Chloé Letourneur et Camille Martin

Compte rendu rédigé par Miléna Sintic

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