Merci Patron : le bal des indisciplinés

 

Entre le récent scandale financier des Panama Papers et la rage des activistes du collectif Nuit Debout, on peut dire qu’un vent de contestation souffle sur l’actualité socio-politique française.

François Ruffin, journaliste et rédac chef du canard satirique Fakir signe Merci Patron, long-métrage qui dénote par sa verve anticapitaliste grinçante.

Une histoire de la domination

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Merci Patron raconte les effronteries d’un groupe d’irréductibles prolétaires envers les abus du capitalisme dont ils sont victimes. Plus particulièrement, le journaliste s’attaque à l’empire de Bernard Arnault, grand manitou du luxe “à la française”.

Tout au long de cette fable électrique, François Ruffin nous conte la revanche de Serge et Jocelyne Klur, ex-salariés d’une usine textile de produits Kenzo à Poix-du-Nord. Le couple, en mode survie et enchaînant les galères financières et morales, tente à l’aide du trublion Ruffin de se faire verser le pactole par leur ex-patron, afin que justice soit faite. Le journaliste se fait ainsi le Robin des Bois de ces petites gens, leur offrant son réseau et son habileté à la magouille afin que le couple récupère son dû.

Délicieusement insolent, François Ruffin arbore sa tenue de justicier, un t-shirt informe à l’effigie de Bernard Arnault portant fièrement  la mention “Merci Patron”. Véritable personnage principal du film, François Ruffin élabore stratagème sur stratagème. Pour mener à bien sa quête, le journaliste, ce héros, ira jusqu’à s’inviter dans les assemblées générales d’actionnaires afin de perturber et d’interpeller Bernard Arnault.

Dans ce premier long métrage, François Ruffin revisite la lutte des classes, sur un ton incisif et espiègle propre à Fakir. On ne peut que se réjouir de l’intention de Merci Patron, qui, sans prendre une tournure populiste, nous conte une bataille très juste.

Au nom de qui se bat Merci Patron ?

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Mais voilà, l’idée du film reste entachée par l’omniprésence de Ruffin. Merci Patron est construit comme une comédie, comme nous le prouve par exemple cette très longue séquence de caméra-cachée. Loin d’être un documentaire, l’histoire ressemble presque à une fiction “inspirée de faits réels”, dont le scénario connaît moult rebondissements. A en croire le narrateur, c’est d’ailleurs la tournure qu’a pris le tournage qui a influencé le déroulé de l’histoire. C’est ainsi l’élément perturbateur “ les Klur reçoivent un avis de saisie de leur maison” qui a déclenché la chasse au gros chèque menée par Ruffin, alors que son intention première semble avoir été de perturber les assemblées générales des grands patrons. Une intention donc à l’origine plus globale, à l’intérêt plus général.

La lutte du couple Klur est mise en scène grâce à la figure de Ruffin le justicier (qui ira jusqu’à se faire passer pour leur fils pour tromper l’ennemi). Cette personnalisation à l’extrême perturbe l’intention du film : François Ruffin emmène les petites gens à la capitale, François Ruffin va à la rencontre d’un couple d’ex-ouvriers dans le Nord, François Ruffin leur promet de les aider, François Ruffin se travestit, François Ruffin joue avec ses enfants, François Ruffin répond à l’appel téléphonique du “méchant” du film… Bref, on a parfois le sentiment d’assister à un vrai petit ego trip à la Michael Moore. Mais cette mise en scène à outrance est totalement assumée et intégrée au scénario du film. Ainsi apparaissent aussi cameraman et preneurs/euses de son, qui nous montrent que tout ceci n’est qu’une construction, que Merci Patron n’est au final qu’un bon prétexte pour se foutre de Bernard Arnault.

Assurément cynique, l’intention du réalisateur-journaliste est bien de nous montrer l’histoire de la revanche personnelle d’une famille, une réponse à la magouille par la magouille. Alors, au nom de qui se bat Merci Patron ? En tout cas, pas des salariés, car Merci Patron n’est ni une dénonciation, ni un plaidoyer politique, ni l’histoire d’une lutte sociale collective. Comme le dit très justement Luc Peillon, journaliste à Libération : “Certains syndicalistes risquent même de tousser un peu : les Klur finissent par boire le champagne du patron après avoir encaissé leur «chèque», cette prime au départ pour laquelle nombre de représentants des salariés rechignent à lutter.”. Le point noir de ce film est donc sans doute, dans le fond, qu’on ne saisit pas d’où il émane, ni à qui il s’adresse.

Mathilde Dupeyron

 

 

 

Crédits photos :

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