“Les yeux ouverts” : le surprenant festival de création documentaire

© Photo de Serena Porcher-Carli
© Photo de Serena Porcher-Carli

Un ancien couvent parisien, des guirlandes esprit guinguette, des projections dans un ancien oratoire et des séances d’écoute collectives sur des coussins imprimés bohèmes. De jeunes artistes aux visions aussi sensibles que tranchées entourés par des spectateurs curieux et enthousiastes. Bienvenue à la quatrième édition du festival Les Yeux Ouverts du collectif  Lundi Soir.

© Photo de Serena Porcher-Carli

Nos documentaires coups de cœur

B.R.I.N, Ombeline Ley et Caroline Capelle

Dans le Bureau de Recherche Interne du Nord (B.R.I.N) de Waziers, ville qui semble désertée, les enfants de 13 ans sont des personnes en âge de travailler. Devant un ordinateur, un téléphone fixe et de la paperasse, ils réalisent des tâches fastidieuses et pseudo-productives à l’image du monde bureaucrate des adultes. Les jeunes au chômage expliquent quant à eux ce qu’ils aiment faire dans la vie et, pour faire bonne figure, parlent du poste de leur rêve aux employés qui ne bronchent pas. Que se passerait-il si Pôle Emploi était respectueux de la demande de chaque candidat ? Lancé de compas, femmes au gros torse, phobie de l’eau : une logique administrative s’accorde à chaque absurdité chez B.R.I.N. Dans une ville où il ne se passe rien, les travailleurs dévoués s’évertuent à trouver une solution à chaque problématique telle que l’usine qui pue, les briques qui font mal quand on les lance sur les policiers ou encore l’alcoolisme. Une grande chenille pourrait peut-être résoudre la baisse de natalité ? Quoiqu’il en soit, la fraîcheur de la jeunesse aligne un sacré coup au milieu angoissant de l’administration. AI

La voix de la résilience : je suis rwandaise, Anne Pastor 

1994 : un génocide frappe le Rwanda et brise un peuple entier. Parmi les atrocités commises lors de ces mois infernaux, le viol était utilisé comme arme de guerre. Fêlure indescriptible dans le cœur de toutes les victimes et trace indélébile avec la naissance du « cadeau du malheur », ces survivantes ont accepté de témoigner pour ce documentaire. L’enfant issu du crime devient à la fois un sujet de rupture au sein des familles de ces femmes mais aussi un traumatisme qui se transmet aux générations futures. Seules contre tous et abandonnées à leur souffrance, elles ont porté leur voix grâce à l’association Cévota pour ne pas sombrer. Elles nous racontent le chemin de la résilience, celui qu’elles ont décidé de prendre pour continuer à vivre et faire vaincre l’humanisme dans l’obscurité. Ce documentaire extrêmement poignant, avec ses fragments d’histoires, est un hymne à la vie chargé d’un devoir de mémoire adressé à la nouvelle génération. AI

Je plongerai dans les vagues, Anna Sauvage

Comment mettre en scène le vide ? C’est le questionnement de la jeune réalisatrice qui est retournée dans sa ville natale du Nord de la France pour tourner son film de fin d’étude. Se confronter à l’absence, à l’ennui et le manque d’envie mais aussi se lancer dans l’expérimentation pour en faire ressortir la beauté du néant, c’est un peu comme se plonger dans des vagues.

Anna va tourner la caméra sur elle, sur son intimité mais aussi sur deux rencontres : Thierry et Marjorie. Alors qu’il ne se passe rien, elle capte des instants de vie, un regard ou encore une émotion de ces deux personnes qui ne semblent attendues nulle part ailleurs qu’ici même. Une réalisatrice qui fait face à un défi : choisir de se raconter ou faire parler le silence de ces inconnus ? AI

Je plongerai dans les vagues, Anna Sauvage

Les mains dans les étoiles, Marine Gautier et Rachel Paul

Jérome est passionné d’astronomie et sourd. Depuis l’enfance, il est fasciné par ce qui passe dans le ciel, et son chemin jusqu’aux galaxies n’a pas été simple. Il s’efforce maintenant de faire communiquer les deux mondes très fermés dans lesquels il évolue, de les rendre accessibles à tous ceux que ça intéresse.

Le court-métrage nous fait découvrir le travail de Dominique Proust qui a rédigé (et crée pour la plupart) des signes en LSF sur l’astronomie, par l’intermédiaire de Jérôme qui en apprend quelques-uns à l’une de ses filles. On peut ainsi s’émerveiller, comme la réalisatrice Marine Gautier avant nous, de la beauté du signe désignant une galaxie, comme de la pertinence amusante de celui représentant le système solaire. Tout un monde rendu un peu moins inaccessible par ces signes, qui sont une porte d’entrée vers un savoir plus grand et des passions épanouies, tandis que ce film vise à rendre plus accessible le monde des sourds. EM

Mes voix, Sonia Franco

Le film s’intéresse à la relation d’Anissa avec sa grand-mère Takia, qui ne peut plus se déplacer seule et est quasiment condamnée à rester chez elle. Sonia Franco, la réalisatrice, nous montre avec douceur l’amour que ces deux femmes se portent, qui surgit dans des petits gestes d’affection ou dans l’émotion d’une voix qui évoque un souvenir commun.

Anissa est comédienne, et sur scène elle parle de sa grand-mère, des recettes de son enfance, et de la transmission d’un patrimoine culturel. Par ces images comme par son rôle sur la scène, tout semble vouloir lutter contre l’œuvre du temps qui passe sur Takia, comme s’il pourrait toujours avoir une autre nuit où grand-mère et petite fille pourraient dormir ensemble. Ponctué par quelques traits d’esprit de Takia qui ne manquent pas de faire sourire, ce film est à l’image de la tendresse qu’il y a entre elles deux. EM

Une place au soleil, Clara Beaudoux

La réalisatrice Clara Beaudoux a emménagé quelques semaines avant le premier confinement dans un appartement donnant sur une grande place en Belgique. Elle décide, alors qu’elle est enfermée à l’intérieur, de filmer ce qu’il se passe dehors, tous les jours, depuis sa fenêtre. Le film est composé de cet enchevêtrement de séquences capturées de mars à mai 2020, qui peu à peu nous font découvrir ce lieu, les personnes qui habitent tout proche, celles qui viennent y travailler et celles qui viennent s’y balader. 

La place n’est presque jamais tout à fait vide, il y a sans arrêt quelque chose à observer si tant est qu’on ait le bon zoom. On fait la connaissance d’Emile et de son caniche Icart, “volant comme un nuage” avec le vent qui s’engouffrait dans la place. À force de les voir et de les filmer, la réalisatrice décide d’aller lui parler sans savoir qu’il aurait tant de choses à lui apprendre. Cet entrelac de séquences ou les gestes des personnes ayant passées quelques instants sur la place entrent en résonance avec des sons, qui semblent venir d’une radio juste à côté, et qui nous donnent l’impression d’être là nous aussi, dans le chaud de cet appartement à regarder à travers la vitre des petits bouts de la vie des autres. Et progressivement, on voit des liens qui se tissent de fenêtre à fenêtre, autour de cette place et de ce film, comme pour montrer que le confinement n’est pas une barrière à la rencontre, si tant est qu’on lui laisse les rideaux ouverts. EM

Bus 96, Louis Séguin

C’est un trajet de bus dans une ville, l’hiver, et deux amis discutent à travers les bruits mécaniques et les conversations des autres passagers comme à chaque fois qu’ils sont là. Sauf que cette fois-ci, c’est le dernier : l’un a prévu de disparaître sans prévenir pour interrompre ce quotidien qui le grignote.

Dans ce court-métrage la fiction se met au service du réel. Les images du trajet de bus (en plan séquence) ont été tournées, c’est un comédien qui joue l’ami qui disparaît, mais tout est réel – ou aurait pu l’être. Au cours de l’échange qui a suivi la projection, le réalisateur (Louis Séguin) a expliqué qu’avec ce court-métrage il avait souhaité “conjurer la disparition” de son ami, comme si en l’anticipant et en la mettant en scène il aurait pu éviter qu’elle advienne. Ce film nous parle également de projets artistiques qui à force de report s’étiolent, passent et lassent tout ceux à qui on les raconte encore et encore. On est touché par l’immersion dans le quotidien d’une relation qui s’interrompt brusquement, avec un dernier signe de main à la sortie d’un arrêt de bus. L’un reste, l’autre part – du bus, de cette relation, de cette vie. EM

Bus 96, Louis Séguin

Béluga, Marie Cavailles

BÉLUGA nous embarque dans un voyage sonore en direction de la Biélorussie. On assiste aux rencontres et aux découvertes d’Ulysse, partie sillonner ce pays de l’Est qui porte les stigmates du soviétisme. La réalisatrice dessine un voyage au son en superposant des bruits de train, de rue, des voix, qui cherchent à reconstruire l’ambiance toute singulière qu’elle a connu en se rendant là bas. Et tout du long, la présence fantomatique de Béluga, qui avec ses petits sons nous accompagne dans ce périple. Cette autofiction sonore très immersive, qui est peut-être le premier épisode d’une odyssée d’Ulysse en Biélorussie, est une ode au voyage et à la découverte du soi qui émerge quand on est complètement ailleurs. EM

Par quatre empreintes, Lise Weiss et Chloé Dréan

Les deux réalisatrices ont mené des entretiens avec leur entourage pour constituer cette mini galerie de portraits en construction. On découvre le rapport singulier de ces quatre “empreintes” au son, de celui qu’ils voudraient oublier à celui qu’ils aimeraient retrouver. Et de là émerge une partie de leurs histoires personnelles, qui parfois résonnent entre elles si tant est qu’on les laisse faire. Ce canevas sonore de voix bouleverse par sa sincérité, exacerbée par ce dispositif si particulier qui mise tout sur le son d’une voix pour communiquer les émotions ressenties par son émetteur face à certains sons. EM

Tenaces, Timothée Engasser et Jean-Baptiste Barra

Le film « Tenaces » est issu de la fusion des travaux de Timothée Engasser et Jean-Baptiste Barra, jeunes chercheurs et doctorants en sociologie, anthropologie, philosophie et urbanisme. Rien que ça. Un projet qui propose une réflexion sur le graffiti comme une empreinte laissée par l’homme dans ces zones de vies urbanisées, sans cesse aménagées et  retravaillées. Pendant 17 minutes, les images de villes, de murs, de matériaux et de chantiers se succèdent, mettant en scène les villes de Santiago (Chili), Sao Paulo (Brésil) et Toulouse (France). Le montage visuel et sonore nous amène à penser l’effacement de la présence humaine et de ses différentes traces, alors même que l’empreinte laissée par l’urbanisation prend une place de plus en plus importante. ML

Travaux #1, de Jules Follet

Le film Travaux #1 est constitué d’un assemblage de vidéos YouTube montées en mosaïques selon des thématiques particulières, qui mettent en lumière des chantiers de part et d’autres du monde avec leurs différents ouvriers. Défini en trois parties, le film est rythmé par trois récits de rêves d’ouvriers perturbés par la mort accidentel un de leur collègue sur le chantier. Ce film se compose d’un mélange d’images documentaires, réelles, et de récits de fiction qui ont été écrits et travaillés par le réalisateur et les voix qui jouent et portent les textes. On parle alors de « docu-fiction », qui nous laisse presque penser qu’il s’agit d’histoires vraies. Le processus de création, qui nous a été expliqué par Jules Follet, nous invite à mêler les genres et se laisser guider par les voix et trouver une cohérence avec l’image. ML


Rendez-vous l’an prochain pour vous mettre des images et des sons plein la tête !

Couverture du festival par Salomé Hallensleben, Apolline Ingardia, Maud Lecanu, Emma Marie et Lucile Nivelle.