Le phénomène Godlywood : Dieu aime-t-il le cinéma ?

L’Église n’aime pas Hollywood, et Hollywood le lui rend bien. Les films made in USA ont toujours compté des portraits acerbes de personnages évangéliques, en témoigne la figure hystérique et terrifiante de la mère tragiquement dévouée à Dieu dans Carrie au bal du diable de Brian De Palma. Pourtant, cette animosité n’est pas une vérité absolue. Tous les chrétiens ne considèrent pas Hollywood comme le sanctuaire du diable, et Hollywood ne recherche pas qu’à produire des longs métrages moqueurs ou critiques, bien au contraire. Dans l’Amérique d’aujourd’hui, cinéma et religion sont intrinsèquement liés, aussi bien pour des raisons spirituelles qu’économiques. Au cœur de ces préoccupations est né le phénomène du Hollywood alternatif évangélique : Godlywood.

« Les films ruinent l’influence spirituelle des Chrétiens. […] Ce sont des pièges pour l’âme, des moqueries envers Dieu, une malédiction pour l’Amérique » John Rice dans What’s wrong with Hollywood (1938)

Dans son ouvrage, Between Hollywood and Godlywood, The case of Walden Media, Nathalie Dupont met en lumière un phénomène enraciné dans des années d’opposition entre un Hollywood satanique et vicieux et des milieux conservateurs chrétiens blancs comme neige. La maîtresse de conférence en civilisation américaine et spécialiste du cinéma aux Etats-Unis rend compte de la naissance d’une véritable subculture chrétienne dès le début du 21e siècle. Godlywood se démocratise et Hollywood y voit alors un puits sans fond de richesses. L’industrie en profite et produit de plus en plus de cinématographies chrétiennes. Le diable se met à distribuer des croix.

Mais le bonheur des uns fait le malheur de autres. Dans sa course constante au profit, Hollywood cherche à internationaliser ses productions et développe une vision universaliste incompatible avec la diffusion optimale des messages chrétiens. De fait, les relations entre les pouvoirs religieux et le cinéma aux États-Unis ont longtemps été conflictuelles. Les deux entités se déchirent face à la violence, la sexualité et toute l’immoralité diffusées sur grand écran qui attisent l’animosité des chrétiens envers les films hollywoodien. Dès les années 20, les pressions des milieux religieux et les menaces de censure amènent à une proscription des images de crimes, de drogue ou de sexualité. Les images sont contrôlées et Hollywood subit.

Lakewood church, une megachurch chrétienne à Houston, Texas (source : Wikipédia)

Le temps passe et les critiques se poursuivent et s’intensifient. Dès les années 80, les prémisses d’un Hollywood bis voient le jour. Essentiellement distribuée dans des églises et méga églises – certaines pouvant accueillir l’équivalent d’un stade de France – une industrie de l’image chrétienne prend forme en parallèle. Le phénomène Godlywood est né. Les églises se mettent à produire des films et répandent la parole divine sur grand écran. Des films fait par des chrétiens, pour des chrétiens. Et le phénomène s’étend jusqu’à son double maléfique : un groupe de chrétiens travaillant à Hollywood fonde Act One, une association qui cherche à transformer l’industrie de l’intérieur.

Deux déterminations se rencontrent alors : Godlywood veut réformer Hollywood et le second veut exploiter le premier. L’industrie du cinéma américain enclenche une dynamique d’exploitation de thèmes chrétiens, parfois caractérisée de Godsploitation. Le public chrétien est très courtisé, avec entre 80 et 120 millions de clients potentiels aux États-Unis.Des films comme Noé, de Darren Aronofsky, Son of God, de Christopher Spencer ou Exodus : Gods and Kings de Ridley Scott, sont alors distribués dans les salles sombres.

Quand le cinéma rencontre politique et religion

Avec les dernières élections présidentielles aux Etats-Unis, le monde entier à ouvert les yeux sur une réalité parfois inconcevable : la moitié de l’Amérique est blanche, républicaine, évangélique et elle vote Trump. Cette réalité à eu un impact direct dans le cinéma. Jusqu’à sa défaite et sûrement longtemps encore après, Trump a eu derrière lui une base de supporters qui défendent les mêmes valeurs chrétiennes. Une base importante qui constitue un public à cibler pour l’industrie du cinéma. Selon Nathalie Dupont : « Il est évident qu’un Hollywood démocrate ne fonctionne pas selon les dires de Trump, c’est la finance que le dirige. » Ainsi les conservateurs les plus radicaux ne se tournent pas vers les films hollywoodiens mais vers les productions du Godlywood.

Scène du film Unplanned de Chuck Konzelman et Cary Solomon, 2019 (source : le JDD)

Hollywood continue d’élargir les thèmes de ses productions et de proposer des films qui partagent les valeurs et idées de cette population, susceptibles donc de l’attirer dans les salles. A sa sortie en 2004, La passion du Christ de Mel Gibson touche un public chrétien conservateur et permet d’élargir les audiences d’Hollywood. Pour Nathalie Dupont : « même si la tranche des 12-25 ans compose l’essentiel du public d’Hollywood, l’industrie recherche de plus en plus à compenser avec un public de niche ». On remarque déjà en 2012, avec la sortie du film Unplanned, la volonté de produire des films adaptés aux croyances fondamentalistes des chrétiens évangéliques. Le film contre l’avortement avait été quatrième au box office national, la semaine de sa sortie.

Hollywood ne succombe pas cependant entièrement à la facilité du Godsploitation et s’applique à remanier les messages à sa sauce. Avec l’international toujours en optique, Hollywood préfère effacer les différences culturelles et privilégie dans ses films des messages universalistes. L’industrie du septième art transforme le religieux en divertissement, s’adapte davantage pour conquérir le plus grand nombre. Hollywood devient une machine à transformer les paroles chrétiennes, parfois en chefs-d’œuvre, parfois en préfabriqués universels. Face au public de niche, la culture de masse l’emporte.

Peut-on encore sauver Hollywood ?

Parmi les désireux de célébrité, la foule hollywoodienne compte aussi des croyants. Antagonistes hier, chrétienté et Hollywood sont aujourd’hui insécables, chacun affectant l’autre. L’opposition du mal et du bien n’est plus si évidente, et pour nombreux de ses fidèles, Dieu aime encore le cinéma. Dans la communauté chrétienne, au milieu de ses détracteurs, Hollywood compte aussi des supporters, qui croient encore en l’industrie du cinéma et qui veulent la sauver. Les dévots de l’industrie californienne se ressemblent pour prier pour tout ceux qui travaillent dans le monde du cinéma.

En plein milieu de la jungle hollywoodienne, trois employés de la First Presbyterian Church of Hollywood dirigent le Hollywood Prayer Network, fondé en 2001. Cet organisme à but non lucratif est dédié à la propagation de la foi chrétienne dans l’industrie du cinéma. Le Hollywood Prayer Network organise de façon hebdomadaire la production d’une lettre dans laquelle il conseille à ses lecteurs de prier pour une personnalité médiatisée du cinéma, comme Adam DeVine ou Sophie Turner par exemple. Le Hollywood Prayer Network n’est pas la seule organisation à se dédier à l’industrie du cinéma. Il existe de nombreux groupes d’études bibliques, des ateliers pour les acteurs et d’autres groupes religieux. Dieu est partout, même dans le cinéma.

De nombreux chrétiens ont su construire un pont entre deux entités apparemment opposées mais qui continuent chaque jour de s’alimenter l’une l’autre. Finalement, si même chez les évangéliques, l’industrie du cinéma américain n’est plus le diable, Hollywood a peut-être encore de l’espoir.

Lise Cloix

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