Le montage au cinéma

Aujourd’hui, tout le monde semble pouvoir s’improviser monteur, avec la démocratisation des logiciels de montage, que tout un chacun possède pour monter ses films de vacances, ses projets scolaires, ou ses courts-métrages amateurs. Mais, suffit-il d’avoir ces logiciels, ou même de savoir convenablement les utiliser, pour prétendre pouvoir faire le montage d’un film de cinéma ? Le montage au cinéma, c’est quoi ?

Le montage : l’essence du cinéma comme art?

Le montage est défini par Marcel Martin comme “l’organisation des plans d’un film dans certaines conditions d’ordre et de durée”. Tout film est constitué dans son processus de création de différentes étapes : le scénario, le tournage. Et après ? Le réalisateur se retrouve avec des centaines de rushes, qu’il ne peut simplement juxtaposer pour créer son film, lui donner un sens, un rythme, une dynamique. Il doit les couper, les coller, action matérielle, voire violente, d’autant plus lorsque le montage se faisait encore à l’époque de la pellicule. Le montage est une épreuve physique, comme il est possible de le constater dans le film “L’homme à la caméra” du réalisateur russe Vertov : nous voyons la femme du réalisateur, couper les pellicules avec minutie. Vertov expose de façon didactique au spectateur la magie, trompeuse, du cinéma : comment il est possible, grâce à cette première action de la coupe d’assembler deux scènes opposées en champ-contre champ, d’assembler deux lieux hétérogènes, de faire se succéder deux scènes opposées. La coupe est le principe même du montage. Le montage coupe le flux d’une image et l’interrompt.

De 22:41 à 23:32 : le montage vu par Vertov

Le cinéma ment, le cinéma triche : il ne s’agit pas de la réalité dans un flux continu, semblable à celui de la vie réelle. Il s’agit d’instants de vies recomposés, grâce et par le montage. De fait, beaucoup de théoriciens et de cinéastes considèrent que l’appareil cinématographique, en tant que machine, devient cinéma avec l’invention du montage. L’art du montage constituerait donc la naissance du cinéma comme art. Le montage donne littéralement vie au film, à l’histoire, crée du sens entre les plans. Bresson, dans son ouvrage Notes sur le cinématographe disait ainsi que le “montage est le passage d’images mortes à des images vivantes. Tout refleurit.” Tout se construit par le montage. Le cinéma, c’est le montage. Le montage véhicule le sens et donne un sens aux images mêmes qui n’en ont pas séparément. Le montage, c’est donc créer des rapports entre des images isolées.

Le montage comme création d’un sens

Au-delà de la technique du montage, de la coupe, il y a l’aspect créatif du montage. Tout peut arriver selon les montages. Il est possible de faire une infinité de films différents avec les mêmes rushes. Le monteur est libre de conférer au film le sens qu’il préfère. Tout peut changer entre deux rapports d’images. L’Effet Koulechov, du nom de son théoricien, démontre d’ailleurs cet effet créateur du montage. Il présente la même image du visage d’un homme, l’acteur Mosjoukine. Cette image est successivement suivie et mise en rapports avec des images différentes. Lorsque son visage est associé à l’image d’une assiette, il semble qu’il a faim. Lorsqu’il est associé à l’image d’un cadavre, il semble triste. Finalement, face à l’image d’une femme nue, son visage semble rongé par le désir. Cette expérimentation met en valeur le fait que le sens se construit par la juxtaposition des images. En assemblant deux images, le monteur est de ce fait le créateur du sens.

L’effet Koulechov

Le montage transparent, ou la construction d’un monde cohérent.

Le montage est multiple : il peut être fluide, ou au contraire, abrupt, et recèle en cela de multiples intentions. Griffith, un cinéaste américain, invente une première conception du cinéma. Pour lui, c’est le montage qui raconte l’histoire. Le montage parvient à rendre un espace lisible et cohérent. De fait, sa conception est plus celle d’un montage qui se veut transparent : il s’efface devant la narration, cherche à être oublié par le spectateur transi. Le spectateur, à aucun moment, ne ressent la violence de la coupe. Cela peut ainsi passer, par exemple, par le raccord.

Les ellipses sont également un élément important du montage qui permettent de fluidifier la narration, d’effacer des plans qui ne servent pas le récit. Il s’agit d’éliminer ce dont le spectateur n’a pas besoin, afin de comprendre le récit le plus clairement et le plus rapidement possible.

Par exemple, le spectaculaire raccord mouvement de 2001, l’odyssée de l’espace est un élément de montage fabuleux, qui permet de faire raccord entre deux images littéralement à des millions d’années l’une de l’autre : de l’os de la préhistoire, le spectateur passe à la navette spatiale du futur de l’humanité. Le montage et le cinéma permettent à l’humain de réaliser l’impossible, d’abolir les limites du temps et de l’espace.

De l’os au vaisseau spatial en un raccord mouvement

Le montage transparent de fait présente une certaine conception du monde et du cinéma : le monde semble cohérent et sans faille. Tout peut être expliqué par le montage, tout a un sens.

Un montage éclaté pour un monde incompréhensible ?

Cependant, après la seconde guerre mondiale, après ces meurtres, et ces génocides, le monde a t-il encore un sens ? Le monde est-il toujours plein, et dénué de failles ? Il semble que l’évolution du montage et du cinéma traduise ce sentiment là. Le montage n’est plus transparent, mais assume sa coupe, sa violence originelle. Le montage heurte l’image, coupe sa dynamique, montre une béance, un vide, entre deux images qui n’étaient pas supposées se rencontrer. Truffaut, dans Les deux anglaises et le continent (71) écrivait que “la vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas”. Le mouvement de la nouvelle vague joue particulièrement avec cette conception du montage. Ainsi, Godard ne cesse de multiplier dans ses films les faux raccords, les ellipses ou les jumps cuts. Le jump cut est un terme technique anglais. Il s’agit de la mise bout à bout de deux plans dont les cadrages sont identiques ou presque sur une même scène. Cela procure une sensation de “saut sur place”, littéralement, de gêne : quelque chose ne va pas dans l’image. Ça ne raccorde pas bien. Cela est particulièrement visible dans A bout de souffle, de Godard.

A bout de souffle : la présence de jumps cuts

Cependant, qui dit faux raccord ne traduit pas nécessairement la vision d’un monde éclaté. Le montage sert en ce sens de multiples intentions, qui dépendant du contexte du film même et de la volonté du réalisateur. Par exemple, la première séquence de Shutter Island est parsemée de faux raccords, qui traduisent davantage l’état psychologique du personnage qui sera au coeur de l’histoire. Ainsi, les faux raccords sont ici visibles avec le jeu des cigarettes entre Teddy et le second inspecteur. Le cadre montre Teddy cigarette en main, et le plan suivant, celui-ci a les mains dans les poches. Les faux-raccords en ce sens servent ici à la narration et contribuent à rendre la construction du personnage de Teddy plus transparente au spectateur en ce sens.

Les faux raccords dans Shutter Island

L’art du montage est ainsi complexe, et contribue à la beauté du cinéma comme art. Il fait entièrement partie du processus de création d’un film. Si les monteurs sont dans l’ombre de la création cinématographique, ils sont pourtant ceux qui donnent la vie à un film. Pourquoi ne pas aller à leur rencontre…

Lucile Castanier

Sources : Frédérique Hammerli (enseignante en classe préparatoire à Avignon)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_sur_plan