It must be heaven : poésie, burlesque et politique

Une scène d’ouverture qui donne le ton…

Quand je me suis installée dans la salle pour voir It must be heaven, je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait. Ma soeur m’avait parlé de ce film fait par un réalisateur palestinien, je me suis dis pourquoi pas et c’est tout.
La première scène donne immédiatement le ton du film : un prêtre orthodoxe, suivi par un cortège de fidèles, frappe à la porte d’une église ; manque de bol, les gardiens, alcoolisés, refusent d’ouvrir, laissant la procession en plan. « Même si Dieu lui-même descend, nous n’ouvrions pas » répondent en riant les réfractaires. Aux grands maux, les grands remèdes, le prêtre finit par faire le tour, accéder à la nef par une autre porte et casser la gueule des gardiens souls. La procession peut poursuivre tranquillement son cours, dans toute la ferveur religieuse du début. Tout le génie du film – et oui, j’ose dire le mot génie! – pourrait être résumé par cette scène d’ouverture qui provoque immédiatement le rire secoué du public, galvanisé par ce shot d’humour absurde.

Elia Suleiman, c’est qui ?
Né à Nazareth en 1960, Elia Suleiman est déjà l’auteur de deux longs-métrages : Intervention divine pour lequel il a reçu le prix du Jury à Cannes en 2002 et Le temps qu’il reste en 2009. Dans It must be heaven, il joue en quelque sorte son propre rôle, celui d’un cinéaste qui quitte la Palestine et se rend à Paris puis à New York pour trouver les financements de son prochain film. La caméra suit alors ce protagoniste silencieux qui observe, stoïque (à peine un sourcil qui se lève de temps en temps) les bizarreries du monde urbain, parisien puis new-yorkais. La caméra tantôt se fige en plan fixe sur le curieux personnage qui observe, tantôt est le relais des yeux de ce dernier. On voit ce qu’Elia voit et on voit Elia voir. Voir le défilé de mode permanent du quartier du Marais au ralenti : la cadence régulière des longues jambes, les jupes fendues aux tissus fleuris, les cheveux colorés qui remuent élégamment sous les chapeaux de cuir ; sur la place vide d’une église, une grand mère qui avance au lent rythme du moteur de son fauteuil roulant électrique tandis qu’à toute vitesse passent trois policiers en rollers. À Central Park il voit des jeunes mères qui promènent leurs poussettes tout en faisant du tai-chi. Au même moment dans les rues new-yorkaises, les passants se promènent l’air de rien, armés jusqu’aux dents, enfants compris. Suivant en quelque sorte la maxime de Barthes qui définit le sarcasme comme « le conditionnement du surgissement de la vérité », le regard satirique qu’Elia Suleiman porte sur nos vies citadines dévoile les faits les plus marquants de la folie moderne.

C’est quoi le rire chez Elia Suleiman ?

Dans It must be heaven, le rire tient principalement du burlesque : on rit devant des scènes absurdes ou ridicules. Ces deux registres comiques sont exploités directement dans la composition de l’image. On rit des superpositions incongrues d’échelles : par exemple, la petite silhouette d’Elia Suleiman (toujours la même allure, veste bleu foncé et chapeau de paille) seul sur la place du Carousel déserte, face à l’immense pyramide du Louvre. Il joue aussi sur le comique de repetition qu’il maitrise à la perfection. Il y a notamment une scène qui m’a marquée : M. Suleiman est en train de taper sur le clavier de son ordinateur, la fenêtre de son bureau grande ouverte. Tout à coup, un moineau entre et vient sautiller sur le clavier Apple, l’empêchant ainsi de travailler. Elia Suleiman le repousse aussitôt du dos de la main. Il revient. Il le repousse une nouvelle fois. Il revient encore. Il le repousse etc. Ce va-et-vient incessant de l’oiseau est bien sûr complètement absurde, et c’est pourquoi la salle est hilare.

Mais le rire ne se perd pas dans les airs…

Il y a une dimension didactique dans le rire que le réalisateur cherche à susciter chez les spectateurs. Par exemple dans cette scène, le charmant entêtement de l’oiseau vient interrompre l’automatisme des doigts qui tapent sur le clavier Apple. Nous vivons dans une ville moderne où la technologie est partout mais nous cohabitons avec une nature qui ne suit pas ces logiques. Plus généralement, en chorégraphiant les scènes de la vie citadine, Elia Suleiman nous rappelle l’importance du jeu, du temps long et du hasard. Il ne fait pas que parodier le rapport entre l’homme et la ville, il tente aussi de montrer la poésie qui peut s’en dégager.

L’importance du silence

Dans un interview, le réalisateur explique qu’il aime faire place au silence dans ses films. En cela il invite le spectateur à se taire et à observer pour interrompre « la frénésie du monde consumériste qu’on nous impose ». Cela permet également d’installer une intimité avec le spectateur. Le film devient un moment de rire et refléxion.

It must be heaven, c’est un nectar concentré de l’étrangeté risible du monde contemporain, avec lequel le spectateur s’étrangle un peu en riant…
Je vous le recommande.

Adèle Ferrier