Green Book : l’histoire d’un périple immensément humain

Une belle aventure poétique

Le temps d’un voyage en compagnie de Tony “la tchatche” et du pianiste jamaïcain Don Shirley, l’Oscarisé Green Book de Peter Farrelly nous plonge dans l’histoire de la ségrégation socio-spatiale aux États-Unis. Pendant deux heures, Tony Vallelonga nous conduit sur les routes du sud à l’aide du Green Book, un manuel qui le guide à travers le pays pour lui permettre d’accompagner au mieux son patron. Cette promenade musicale ne nous permet pas seulement de nous replonger dans l’univers du jazz américain, c’est aussi un moyen de nous rappeler de ne jamais oublier la monstruosité du racisme des années 1960 aux États-Unis. Si à la fin du film on est déçu de descendre de la voiture de Tony pour retrouver l’ambiance magique de Noël, le dénouement nous laisse un arrière-goût de poésie mêlé à la nostalgie de devoir dire au-revoir à deux personnages atypiques et terriblement attachants.

Une amitié improbable

On fait finalement la rencontre de deux protagonistes que tout oppose: un musicien jamaïcain à la fortune colossale qui fait appel aux services d’un chauffeur à la recherche de petits boulots pour gagner sa vie. L’un est un italien à la peau blanche, l’autre est noir. L’un est entouré par une grande famille, l’autre vit pour l’amour du jazz. Tandis que le premier a l’opportunité de connaître le territoire américain et ceux qui le composent, le second est soumis aux lois du Green Book. Tony chaperone Don Shirley tandis qu’il est limité par un guide qui lui indique les lieux qu’il a le droit de fréquenter. Si on a du mal à croire qu’une telle fragmentation ait pu un jour avoir un sens, cette obscurité historique – mais pas si vieille – est apaisée par la douceur de leur relation. Si tout semble d’abord les opposer, leur charisme antithétique se marie parfaitement avec l’aventure qu’ils commencent ensemble. De ces oppositions naît un odd couple, un drôle de couple, une amitié salée (pour reprendre l’expression de Tony, le critique culinaire). Chacun trouve le moyen d’enseigner à l’autre sa manière de vivre et penser, et s’ils semblent ne rien avoir en commun, il paraîtrait que cette différence de taille ne soit que sociétale. La scène presque burlesque des ailes de poulet nous plonge dans un univers doux et tendre, dans lequel Don Shirley apprend d’une culture dont il n’est pas issu. Quand il demande d’un air innocent et presque enfantin où les os se jettent une fois qu’il a fini, on ne peut s’empêcher de sourire. Ce moment d’hilarité est vite coupé par le regard menaçant du pianiste lorsque Tony jette son gobelet par terre, puisqu’il sera de toute façon “bouffé par les écureuils”. En restant tous les deux fidèles à eux-mêmes, on les observe apprendre à se connaître doucement, à s’aimer, et à se protéger, dans une véritable relation de fraternité. 

Une claque d’humanité en plein visage

“Si je suis pas assez noir, si je suis pas assez blanc, alors je suis quoi ?”. Cette phrase tonitruante marque un véritable temps dans le film. On assiste à une altercation entre les deux personnages, et Don Shirley sort pour la première fois de ses gonds. Il hurle au bord des larmes, la rage au ventre, une véritable crise identitaire. Ne pas savoir qui l’on est, où se situer dans une société de la division, c’est ce que Don Shirley parvient enfin à exprimer sous cette pluie fracassante, au visage de son compagnon de route. Ce voyage bouleversant pose la question de la notion d’identité propre dans une vraie quête du “soi”, mais aussi nous parle de solidarité, de bienveillance, et surtout de tolérance. Après ce long périple, quand Tony rentre auprès de sa famille, on attend, tenu en haleine, que Don Shirley sonne à la porte. On assiste à une évolution de taille de la part des deux personnages. Le Tony vulgaire apprend à aimer le jazz, à admirer un pianiste noir et à le défendre à voix haute quoi qu’il lui en coûte. Des actions de petites tailles qui, mises ensemble, parviennent à montrer cette bataille qu’il a fallu mener à petite échelle pour faire avancer les droits des minorités.

“PS: Embrasse les gosses”

Si on devait choisir une phrase pour parler de Tony la tchatche, ce serait probablement celle-là. Forcé de laisser sa femme Dolorès, qui elle, a contrario de Tony, incarne la douceur et la clémence, ils vivent une relation épistolaire le temps que dure la tournée. La scène d’écriture des lettres à Dolorès est significative pour décrire les différences qui unissent Don et Tony. Ils parviennent à réunir au sein d’une même lettre leur façon de voir le monde. La poésie de Don sait émouvoir son spectateur, tandis que le “Ps: Embrasse les gosses” ajoute une touche d’humour bien caractéristique du personnage de Vallelonga et de tout le film en général. Les larmes aux yeux ne nous quittent pas, au moment où, à la toute fin, Dolorès remercie chaleureusement Don d’avoir aidé Tony à écrire toutes ces lettres d’amour. 


S’il est difficile de rendre compte de la beauté de Green Book, on ne peut que conseiller cette expédition initiatique. Après la tournée de Don Shirley, on reste un instant là, cloué sur son fauteuil, ne sachant pas s’il nous a brisé le coeur, ou s’il nous l’a réchauffé. Une route à parcourir, sans modération.

Axelle Castagné