Dystopies et écrans : quand la contre-utopie fait vendre.

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Depuis quelques années la dystopie fait son retour sur les écrans. On pourrait définir ce genre qui s’oppose à l’utopie comme un récit de fiction dépeignant une société dont l’organisation empêche ses habitants d’atteindre le bonheur. Le goût pour les dystopies est symptomatique des temps de crises : si 1984 de Georges Orwell est écrit au lendemain de la seconde guerre mondiale puis adapté au cinéma afin d’armer le public contre les totalitarismes, comment peut-on interpréter la résurgence actuelle du genre ?

La dystopie comme métaphore de l’Histoire

Adapter le modèle idéal de société qu’est l’utopie au cinéma limite les possibilités narratives. Cependant, sa cousine la dystopie continue de fasciner et d’inspirer les réalisateurs, et cela malgré des fictions alarmistes qui se succèdent et se ressemblent.

Les premiers récits dystopiques sont intrinsèquement liés à leur contexte historique. Ainsi dans Metropolis, Fritz Lang s’appuie sur l’essor de l’industrialisation de l’entre-deux-guerres pour mettre en scène le savant fou Rotwang qui crée un robot à l’image de Maria, que les ouvriers écoutent et respectent, afin de semer la discorde au sein du groupe. Quelques années plus tard en 1931, Aldous Huxley publie Le meilleur des mondes alors que la science fait face à des dérives préoccupantes. En effet, l’eugénisme, une science théorique qui veut contrôler les hommes via le tri génétique, est une théorie alors reconnue. Il s’en inspire pour inventer une société où les hommes sont hiérarchisés en trois catégories qui prédestinent leur existence. Thème que l’on a souvent retrouvé au cinéma avec notamment Bienvenue à Gattaca (1997). Ainsi forte de son ancrage empirique, la dystopie prend ses marques. Fréquemment, elle présente des dirigeants exerçant un fort contrôle social, maintenant leur peuple dans l’obscurantisme et l’oppression. Cette emprise est généralement permise par des idéaux institués par le pouvoir : on se rappelle de « La guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » de 1984. Pourtant, la société dystopique se veut, au premier abord, idéale. Néanmoins la réalisation de ces préceptes idéaux conduit à une souffrance des individus. Il s’opère alors un renversement du point de vue, mené par un héros en quête d’indépendance. Il prend conscience de lui-même et des limites du régime en place, ce qui le mène à la rébellion. Cette épiphanie est bien souvent liée à une découverte de l’amour et donc de l’interdit : les sentiments n’ont pas leur place dans un régime dystopique institué. Ce schéma type est celui de bon nombre de dystopies et a une visée pédagogique. Elle permet de se projeter et d’entrevoir le danger d’une société qui annihile les libertés individuelles.

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Quand la réalité rattrape la fiction

L’instabilité économique, sociale et écologique actuelle profite au genre. Nous avons plus que jamais besoin que le septième art « fasse sens », et nous indique la marche à suivre tout en traitant indirectement de l’actualité. Par la confrontation de personnages qui nous ressemblent à un monde plus sombre, la dystopie fait émerger des valeurs humaines et démocratiques qui nous rassurent. Citons comme exemple le succès de The Handmaid’s tale, adapté au cinéma dans les années 80 et ré-adapté en série en 2017. La série a fait écho à « l’administration Trump » et à son image rétrograde de la femme, qui n’est plus que « bimbo », « witch hunt », ou « dog ». La fiction présente l’histoire d’Offred, une jeune femme vivant dans une société futuriste mais rétrograde, et où le fanatisme religieux a pris le pouvoir. Les femmes sont assujetties à leurs rôles d’épouses, de mères porteuses, de servantes ou de prostituées. Offred résiste contre l’oppression et se donne les moyens de retrouver cette liberté perdue, et les téléspectateurs s’identifient au personnage.

Une logique marchande qui profite au récit fataliste

L’audimat attend toujours davantage de films et de séries dystopiques, et l’offre ne cesse de se diversifier. La dystopie n’est plus seulement, comme à ses débuts, la reconstitution d’un rapport dominants-dominés érigé en régime totalitaire. Les nouveaux problèmes de société y sont présentés. Snowpiercer, le Transperceneige, traite de l’urgence environnementale et des inégalités sociales. Si la planète est devenue entièrement glaciale et donc inhabitable, c’est en raison d’une tentative de contrer le réchauffement climatique qui s’est soldée par un échec. Des passagers sont contraints de vivre dans un train qui roule en permanence, mais les conditions de vie diffèrent d’un bout à l’autre du véhicule. Si les premiers passagers vivent dans le confort, les autres subissent un système de rationnement. Snowpiercer, le Transperceneige se déroule en 2031. Ce n’est qu’une projection de quelques années qui traite de problèmes actuels comme l’écologie ou la question de la répartition des richesses au sein d’une société d’abondance. La chronologie et les thèmes de la dystopie se font actuels, la fiction se mêle à la réalité. Autre thématique récurrente dans les dystopies : la dérive technologique. La série Black mirror dénonce ainsi les dérives d’un futur plus ou moins proche, régi par la technologie où réalité actuelle et fiction ne cessent de se rattraper. On peut citer le premier épisode de la saison deux, où un personnage décédé est ressuscité artificiellement sous la forme d’un humanoïde qui reproduit son apparence et son caractère, afin d’aider ses proches à surmonter le deuil. Ceci n’est pas sans rappeler un questionnement idéologique récurrent dans les sphères high-techs. Un mouvement religieux en est même né : le Terasem, qui prône une survivance informatique comme réponse à la mort humaine.

Une fonction didactique supplantée par la notion de divertissement

La consommation d’une dystopie doit pousser à la réflexion et à l’action. Or, cette dimension est mise en exergue par le divertissement et l’effet cathartique qu’elle engendre. L’explosion des ventes de1984 après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en est la preuve.

Qu’en est-il resté ? Une prise de conscience, mais surtout un attrait pour les scénarios catastrophes. Le développement des séries télévisuelles n’est pas anodin dans le renouveau actuel de la dystopie. En effet, le format permet aux scénaristes de faire durer et de complexifier les intrigues. Le triomphe de Netflix permet aux séries d’avoir plus de moyens, plus d’effets visuels participant à l’enrichissement de leur esthétique. On peut citer la série originale Netlfix portugaise 3% , proche de la thématique d’Hunger Games, qui n’aurait pas pu avoir cette diffusion et ces moyens de production sans Netflix.

Le divertissement prend finalement le pas sur l’avertissement : la dystopie n’est-elle pas la manière la plus efficace de mimer les dysfonctionnements du réel, et de n’y remédier seulement que par la fiction ?

Auteur : Alice Pasche

Sources :

http://www.lejournalinternational.fr/La-dystopie-realite-ou-fiction_a1270.html
https://www.humanite.fr/black-mirror-la-nouvelle-bombe-dystopique-630476
http://www.telerama.fr/television/hunger-games-snowpiercer-divergente-quand-la-dystopie-envahit-nos-ecrans,133532.php
https://parismatch.be/actualites/societe/76050/dystopie-pourquoi-un-monde-pire-que-le-notre-nous-fascine
http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2017/09/08/dystopies-le-pire-des-mondes_5182940_4497916.html
https://sorb-on.fr/2016/06/09/notre-societe-par-le-prisme-de-la-sf-vivons-nous-dans-une-dystopie/