Cinéma de genre : lettre à France

“Tu sais, je réfute même le terme de cinéma de genre. […] Aujourd’hui, je trouve que c’est une appellation pour nous mettre nous, qui faisons de l’horreur, du fantastique et de la SF, dans un ghetto. […] Et en même temps, ça décrit aussi notre paradoxe à nous, cinéastes de genre : c’est qu’on a un côté à ne pas vouloir faire partie des institutions, de l’académisme, et à la fois on a envie d’être reconnu. Oui, Il y a ce paradoxe du punk qui voudrait quand même être accepté dans les salons, tout en méprisant profondément les salons mondains, tu vois. Moi je me sens très tiraillé par rapport à ça.”

En quelques mots, Pascal Laugier résume la définition et le problème que pose le cinéma de genre. C’est un cinéma de niche, qui donne un sens péjoratif au mot « genre » : celui de marginal. Pourtant tout genre de cinéma est fier de se revendiquer comme comédie, drame, film d’auteur etc. Et tous sont acceptés, et produits par l’industrie. Mais le cinéma de genre lui, est regardé de loin, est scruté et dégoûte ceux qui le marginalisent. La raison, c’est qu’il interroge, mais de manière frontale. Il soulève nos contradictions, nos pulsions contenues qui éclatent à l’écran. Il nous ramène au stade d’animal, ce sentiment individualiste qui ne pense que par le prisme du moi, qui n’hésite pas à écraser les autres. Il dévore, il nous dévore, il saigne et nous fait saigner. Il dérange, il se marre face aux bonnes mœurs et les poignarde sans vergogne. On dit le détester, mais on déteste l’adorer. En atteste le meilleur exemple quant à notre curiosité insatiable face au genre: Paranormal Activity, produit et réalisé en 2009 par Oren Peli pour un budget de 15 000 dollars. Résultat: près de 200 millions de dollars générés par les recettes, plus d’1 million d’entrées en France et un long-métrage qui se place au rang du film le plus rentable de tous les temps, lui accordant un retour sur investissement de 1 289 000%. Ça en dit long sur notre position ambiguë face au cinéma de genre.

Paranormal Activity, Oren Peli (2009) – premier huis clos « self-made » par les protagonistes, qui se filment eux-mêmes et accroissent la proximité entre les spectateurs et le danger à l’écran

L’émergence récente et fulgurante du cinéma d’horreur dans nos salles de cinéma

Du côté de la production, les cas The Blair Witch Project (deuxième film le plus rentable de l’histoire avec près de 250 millions au box-office pour un budget de 60 000 dollars, 413 300%) en 1999, et de Paranormal Activity dix ans plus tard, ont provoqué un émoi sans précédents chez les producteurs en quête du bon filon. L’Américain Jason Blum s’empare du phénomène et crée sa propre maison de production, Blumhouse Productions en 2000. C’est depuis un catalogue qui n’en finit plus de rajouter des films sur sa liste à succès, quitte à standardiser complètement cette nouvelle ère du cinéma d’horreur: Insidious, The Conjuring, Sinister, Annabelle, The Visit, et bien d’autres. La stratégie est simple. Recentrer l’action dans peu de décor (le huis-clos est souvent privilégié), réduire les coûts de production, et leur coup de maître: baisser les salaires, en promettant un intérêt sur recettes qui motive les équipes à « aboutir au meilleur film possible » selon Jason Blum. Et si cette promesse satisfait tant, c’est parce qu’elle a fait ses preuves. L’acteur Ethan Hawke accepte de jouer dans The Purge (2013) pour un salaire initial de 11 000 dollars. L’intérêt sur recette lui permet de terminer avec un salaire de 2 millions de dollars suite au nombre d’entrées que réalise le film. Ça a de quoi motiver à prendre le risque. De plus, les productions de Blum ne dépassent jamais plus de 5 millions de dollars d’investissement, lui assurant un retour sur investissement monumental sur presque toutes ses productions. Cette démarche lui offre donc la possibilité de produire plus de dix longs-métrages par an, dans un secteur du genre en crise dans le reste du monde.

American Nightmare – The Purge (James DeMonaco, 2013) illustre parfaitement la stratégie de production de la Blumhouse Productions

Ce filon d’or inattendu depuis Paranormal Activity ne s’explique pas vraiment, ou plutôt pointe du doigt une nouvelle face du divertissement. La fascination pour tout ce qui touche à l’autre, à l’étrange, ce qui rentre en contradiction avec nos être et nos principes ne date pas d’hier. La popularité jamais démentie de Halloween depuis sa démocratisation atteste d’une curiosité envers la mort, la souffrance et ce qui l’entoure, la volonté de tester ses limites. Comme on a besoin de se pincer pour savoir si l’on rêve, notre corps réclamerait de frissonner pour vérifier que notre cœur bat. Ainsi les exemples de films d’horreur sont légions, mais une chose apparait clairement: où sont les Français dans ce nouveau paysage?

Le cinéma de genre français: oui, mais pas en France

Il est très rare de voir un film d’horreur, fantastique ou de SF dans la langue de Molière. Pourtant le succès de Blumhouse est tel qu’on imagine pouvoir creuser notre place dans ce marché encore récent qui brasse de plus en plus d’argent, et qui envoie même certaines de ses productions aux Oscars (cf Get Out, réalisé en 2017 par Jordan Peele et lauréat de l’Oscar du meilleur scénario original). Qu’attendent les réalisateurs français pour s’emparer de leur pioche et creuser aux côtés des Américains? La réponse est simple : ils n’attendent que ça. Mais les chaînes françaises, les sociétés de production et le CNC ne sont pas du même avis. La course à la rentabilité épuise toutes chances de financement pour ces réalisateurs pleins de bonnes intentions, et quelques essais mal réalisés car mal produits n’ont fait que décrédibiliser à long terme le genre français. Pourtant les films existent, et c’est avec grand étonnement que certains réalisateurs inconnus chez les Gaulois ont eu un retentissement sans pareil à l’extérieur de nos frontières.

Dans les interviews que Victor Bonnefoy mène lors de la 25e édition du Festival international du film fantastique de Gérardmer, et qu’il retranscrit dans son documentaire Genre c’est du cinéma? (2018), Tyler MacIntyre cite Martyrs comme l’un de ses films d’horreur préféré: « It’ an actual masterpiece ». Le film de Pascal Laugier, sorti en 2008, reste presque inconnu en France, ayant péniblement réalisé 95 000 entrées là où il s’est vendu de manière phénoménale à l’étranger. Les films de genre français ont une véritable résonance hors du pays, et portent, sans même qu’on le sache vraiment, une spécificité française dans ce cinéma qui est incroyablement considérée par nos pairs étrangers. « Ce qu’on a réussi à faire avec Frontières (ndlr Xavier Gens, 2008), Martyrs, À l’intérieur (ndlr Bustillo et Maury, 2007), Vertige (ndlr Abel Ferry, 2009) et autres, ce sont des films qui existent réellement à l’international. Au Mexique on ne me parle que de ça, en Amérique latine les films sont cultes, aux Etats-Unis pareil. En Asie c’est du délire, je me rappelle des actrices chinoises, grandes stars là-bas, qui veulent absolument faire un film avec moi parce que j’ai fait The Divide (ndlr Xavier Gens, 2012). Et en France, personne l’a vu. » confie Xavier Gens.


Martyrs, de Pascal Laugier (2008), dernière production uniquement française avant ses co-productions américaines, obligatoires s’il veut trouver des financements

Lorsqu’on se rend compte de l’écho international de ces films, on n’en revient pas. On connait le succès français de certains réalisateurs, acteurs/actrices à l’étranger. Certains d’entre eux ont reçu de nombreux prix aux Etats-Unis ou ailleurs. Mais c’est à se demander s’ils existent réellement que de voir des cinéastes à l’instar de Laugier, Gens, ou encore Aja plébiscités sans relâche outre-mer là où seulement une niche de cinéphiles parmi les cinéphiles les connaissent en France. Alors oui, face à cela les réalisateurs fuient vers les pays qui les produisent, à contrecœur mais sans autre solution de recours.

Partir aux Etats-Unis: la solution miracle ?

Le succès est sans commune mesure avec les rares productions françaises ne dépassant jamais les 100 000 entrées: Silent Hill de Christophe Gans empoche 100 millions au box-office en 2006, La Colline a des yeux d’Alexandre Aja dépasse les 70 millions, The Eye passe la barre des 50 millions en 2008 sous la direction de David Moreau. Le constat des potentialités apportées par la production américaine est frappant là où les productions françaises ne rapportent pas la moitié de leurs coûts de production, déjà très peu élevés. L’addition est salée, Laugier, Gens, Aja, les rares noms un peu connus en France font tous leurs valises direction le rêve américain, à jamais pour certains. La langue anglaise aide à la notoriété certes, mais la liberté créative est moindre. Les producteurs américains sévissent et vont jusqu’à dégager de la salle de montage certains réalisateurs encore néophytes sur leur territoire. Ou alors on se plie à leurs exigences, et c’est ce que fait Xavier Gens quand il réalise Hitman en 2007 (plus de 100 millions de recettes) pour être totalement libre sur The Divide cinq ans plus tard. C’est par des gymnastiques et des compromis que nos cerveaux du genre français peuvent exister hors du bercail, et c’est la perte de succès monumentaux que subit la France. C’est alors à se demander ce qui nous prend de refuser des films qui font un tabac à l’étranger. La langue parlée aide ou non la distribution internationale à se faire, mais les hispano-latino nous montrent bien que la barrière de la langue n’est pas insurmontable: L’Orphelinat (Juan Antonio Bayona) engrange 78 millions en 2007, Rec (Balagueró et Plaza, jouant sur la technique propre au film de genre de « caméra à l’épaule », faisant filmer ses personnages) rapporte 32 millions la même année… La langue espagnole n’est pas un frein, et les sous-titres assurent la distribution mondiale, permettant aux films de se rentabiliser plus qu’il n’ont besoin jusqu’à devenir de véritables succès critiques et commerciaux. Les Goya espagnols ont toujours récompensé des films de genre et ont permis à cette industrie de niche de devenir un véritable pan de son cinéma national, là où la France a échoué malgré ses talents prometteurs.

L’hexagone n’a donc plus de raison de s’en faire, le succès peut être au rendez-vous, à condition que la qualité du film y soit aussi. Et au regard des histoires de nos 4 réalisateurs de genre outre-Atlantique, elle n’a plus vraiment de doute à avoir. Alors qu’est-ce qui bloque? Qu’est-ce qui l’oblige à pousser certains de ses cinéastes à l’exil, vers des terres promises aux dessous de production standardisés et à la liberté créative monnayée au bras de fer? Surtout que si les Français sont appelés à réaliser pour les Américains, c’est bien que ces derniers sont moins bons, ne font même plus l’effort de l’être sur des films dont ils ont de toute façon le monopole sans concurrence digne de ce nom. Cela donne un genre de cinéma d’horreur et fantastique aseptisé, que seuls les Espagnols et les Latino, suivant leurs traditions et leurs légendes mystiques, peuvent contrer tant bien que mal. Même Guillermo del Toro (Le Labyrinthe de Pan, 2006) et Andrés Muschietti (Mama, 2013) ont finalement cédé aux superproductions hollywoodiennes pour réaliser Pacific Rim (2013) et Crimson Peak (2015), et les deux volets de Ça (2017 et 2019). Que répondre au géant américain autrement qu’en menant sa révolution en silence? Il semblerait que l’affaire soit bouclée…


Guillermo del Toro offre dans ses oeuvres (ici Le Labyrinthe de Pan, 2006) une spécificité dans le cinéma de genre qui tient à ses racines latino-américaines et aux mythes de ses ancêtres

Les French Frayeurs, une lueur d’espoir bien vite oubliée

Gaspard Noé échauffe les esprits avec ses productions telles qu’Irréversible (2002) dans le début des années 2000 et provoque l’émergence d’une New French Extremity selon James Quandt. Le critique américain qualifie les films de cette classification au croisement entre « une violence bestiale, une décadence sexuelle et une psychose troublante ». Certaines scènes choquent les spectateurs à Cannes, qui se demandent quel est leur sens: coup du sort, le public est au rendez-vous (600 000 entrées pour le film de Noé), et Manuel Alduy (directeur du cinéma chez Canal+ à l’époque) lance un programme d’aide à la production du cinéma de genre français, les French Frayeurs. C’est à ce programme d’aide que l’on doit les films que cite Xavier Gens et qui auront une aura internationale bien plus forte que celle que le public et les critiques français leur accorderont.

Si les French Frayeurs n’ont pas eu le résultat escompté, et que les réalisateurs de genre français sont pour beaucoup partis pour faire produire leurs films à l’étranger, un cas particulier a rebattu les cartes du genre en France très récemment. Le film Grave de Julia Ducournau sort en 2016 et provoque l’enthousiasme des critiques en étant projeté de festival en festival dans le monde entier, et en décrochant plusieurs nominations aux 5 Césars qui suivent. Mais la réalité est moins jolie qu’elle n’y parait. Les entrées en salle restent supérieures aux films de Gens ou Laugier, mais n’atteignent pas les sommets des production Blumhouse (seulement 150 000 entrées contre plus de 500 000 pour Happy Birthdead en 2017, ou le dernier volet de la série Insidious en 2018). Le film ne remporte aucun des prix pour lesquels il est nommé, faisant plus office de bizarrerie dans le paysage cinématographique français en compétition que d’un véritable prétendant aux titres. Enfin, Julia Ducournau elle-même revendique son film autrement que par l’étiquette de « film de genre français » qu’on lui attribue, trop restrictive et repoussante pour le public et les financiers d’aujourd’hui. Ce sont ces manques de revendications par peur de l’opinion commune et instituée sur le genre made in France, couplée à l’absence de légitimité accordée par un potentiel César qui empêchent Grave de devenir un véritable fer de lance pour le cinéma de genre français dans son pays d’origine. Et c’est d’autant plus regrettable qu’il est porteur d’une symbolique forte en parallèle de sa dimension de film de genre: c’est une réalisatrice, comme elles sont trop peu aujourd’hui, qui a réussi le coup de maître d’initier une revalorisation du genre français, oublié depuis les premières réalisations de Cocteau (La Belle et la Bête en 1946), Franju (Les yeux sans visage, 1960) ou même de George Méliès et ses univers totalement loufoques (Le manoir du diable en 1896, Le Voyage dans La Lune en 1902…), qui donnaient pourtant de bons espoirs quant au potentiel d’institutionnalisation et d’industrialisation du cinéma de genre en France, et dans le temps.

Le Manoir du diable de George Méliès (1896), nous montre que le genre horrifique et fantastique tente de creuser sa place en France depuis les touts premiers pas du cinéma

Certaines productions françaises du XXe semblaient assurer un bel avenir au cinéma de genre en France, qui n’a cessé d’accroître sa popularité jusqu’à la toute fin du siècle. Le cinéma Midi-Minuit a été un centre de rassemblement majeur à Paris pour tous les aficionados de films qui sortaient des chemins battus. Malheureusement, la tradition française et la fantasticophilie se meurent bien vite au profit des comédies souvent douteuses dont nous inonde les distributeurs. Il n’arrive pas à trouver et fidéliser son public, notamment chez les adolescents qui préfèrent la cinéphagie et les screamers faciles proposés aujourd’hui par Blumhouse. Résultat: seulement 47 films de genre français ont été produits par l’organisme depuis 1960. Les chaines de télévision refusant d’aider les financements, le circuit Z d’autoproduction semble être la seule solution, bien trop onéreuse pourtant, mais autre que l’exil outre-Atlantique. Aujourd’hui, 6% de la production nationale française relèvent des films fantastiques et d’horreur chaque année. Et la plupart sont co-produits avec la Belgique ou les pays intéressés. Il semblerait alors qu’être produit pour un réalisateur de genre français à l’heure actuelle, c’est soit de vendre son âme au diable comme l’a fait Alexandre Aja, en acceptant d’abandonner sa manière particulière de réaliser pour répondre aux canons américains (la différence entre Haute Tension en 2003 et Crawl en 2019 est nette). Soit de ne rien lâcher, et de continuer à espérer:

« Il faut l’envisager, il faut y croire., il faut pas lâcher l’affaire. (…) Ce qui reste, ce sont des aventures individuelles, des prototypes faits par des gens qui ont plus envie que les autres que ça existe (…) et jamais je ne dirai à un jeune qui vient me voir: « mon petit, t’y arriveras pas, laisse tomber ». De toutes façons, quel autre choix on a ? C’est soit ça, soit moi je vais ouvrir un camion à crêpes… Parce que je ferai pas autre chose. » Pascal Laugier.

Réaliser du cinéma de genre en France, en 2021 comme il y a 20 ans, c’est y croire sans faille. C’est réaliser par passion. En 1977, Polnareff chantait son amour au pays dans Lettre à France, alors en exil fiscal aux États-Unis. Aujourd’hui, c’est au tour des cinéastes de genre, et de leur public de se réunir en cri du cœur, face à un pays qui les héberge, mais qui laisse s’envoler des talents et tue des projets qui sont essentiels dans notre monde standardisé, qui gomme notre faculté de perception de la réalité. Car comme le dit André Breton dans son Premier manifeste du surréalisme (1924):

“Ce qu’il y a d’admirable dans le fantastique, c’est qu’il n’y a plus de fantastique : il n’y a que le réel.”

Baptiste Charles

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