Le Vénérable W. : le sacre de la terreur

Avec Le vénérable W, Barbet Schroeder signe un film documentaire sur la figure du moine bouddhiste Wirathu ayant encouragé le massacre des musulmans Rohingyas en Birmanie et conclue ainsi sa « Trilogie du mal » composée des documentaires Général Idi Amin Dada : autoportrait (1974) et L’Avocat de la terreur (2007). Le vénérable W. a été sélectionné pour être projeté en séance spéciale à Cannes et sort le 7 juin en France.

En Birmanie (Myanmar), un pays où 90% de la population est de religion bouddhiste, un mouvement bouddhiste extrémiste attise la haine envers la communauté musulmane alors même que le bouddhisme est une religion pacifique fondée sur le rejet de la violence au-dessus du bien et du mal. Cette doctrine islamophobe prend le visage du « vénérable W. », le moine Wirathu, figure d’autorité hautement respectée dans ce pays d’Asie du Sud Est avec lequel le réalisateur s’est entretenu.

Alors qu’on pensait la religion bouddhiste exemptée du racisme et de l’extrémisme, Barbet Schroeder nous rappelle que le fascisme et la xénophobie n’épargnent rien ni personne. Le bouddhisme considère qu’il n’y a pas de dieu créateur, mais les moines bouddhistes ont un statut sacré. Que se passe-t-il lorsqu’un moine bouddhiste raciste et xénophobe prêche la haine envers une minorité ethnique et religieuse ?

Le prédicateur de la haine

Le moine Wirathu, qui se cache derrière le titre du « vénérable W. », est un moine bouddhiste mégalomane au discours racialiste sur « la peur de la disparition de la race ». Cette idée donna d’ailleurs son titre au livre de Wirathu qui le mena en prison pour incitation à la haine. C’est grâce à l’amnistie nationale de 2012, décidée à l’issue de la Révolution de Safran qui vit les moines bouddhistes s’élever contre la dictature birmane, que Wirathu pu sortir de prison.

Une fois libéré, le moine profite de son influence pour mettre en marche une entreprise de propagande islamophobe. Wirathu réalise et produit des clips vidéo mettant en scène la violence des islamistes radicaux qu’il distribue par la suite gratuitement aux Birmans. Sur les panneaux d’affichage de la ville sont exposées des photos de décapitation et autres crimes commis par Daesh. Les musulmans sont désignés, par le moine et son mouvement extrémiste, ennemis public numéro 1 du bouddhisme.

Du 969 au Ma Ba Tha : le bouddhisme de la terreur

Le viol et le meurtre d’une jeune Birmane par trois musulmans est le point de départ du discours sur « la protection de la race » propageant une parole de haine envers l’Islam qui a encouragé l’extermination de la minorité musulmane des Rohingyas venue du Bengladesh, pays limitrophe de la Birmanie. La parole du moine attise la haine mais aussi le feu qui détruit des camps de Rohingyas.

La voix-off du film, qui n’est autre que la voix de l’actrice Bulle Ogier, nous rappelle tout au long du documentaire, des principes du Sutra qui nous semblent presque trop simplistes.

Ne prenez pas le mal à la légère en disant « il ne m’atteindra pas », même un pot d’eau finit par se remplir de gouttes de pluie. De même, l’innocent goutte par goutte finit par se remplir du mal.

Pourtant, ces principes, mis en contraste avec les témoignages vidéo d’une rare violence de la traque des musulmans Rohingyas, prennent tout leur sens. Le rôle du Prix Nobel de la paix, la birmane Aung Suu Kyi, figure de l’opposition pacifique à la dictature militaire, se dessine en filigrane. Celle-ci est vivement critiquée, à l’international, pour son silence et son immobilisme face au génocide perpétré dans son pays et son soutien à la junte militaire proche du Ma Ba Tha, l’association bouddhiste de Wirathu engagée dans « la protection de la nation et de la religion ».

Le vénérable W. est un savant mélange entre entretiens, cartes, infographies et images d’archives. Ce film, on ne peut plus actuel, met en lumière les tensions d’un pays qui fut longuement en retrait de la scène internationale. Mise en lumière plus que nécessaire alors qu’en 2015 Ma Ba Tha réussit à faire adopter quatre lois discriminatoires et que le 29 janvier dernier, Ko Ni, l’avocat musulman et conseiller d’Aung San Suu Kyi fut assassiné.

Clara Brelot