Unreal, une autocritique de la télé-réalité ?

En juin dernier, la chaîne américaine Lifetime diffuse Unreal, série créée par Marti Noxon et Sarah Shapiro. Le pitch est osé, puisque la série promet de nous emmener voir les dessous de la production d’Everlasting, une émission type Bachelor, entre manipulation de candidats et course à l’immoralité. Voilà qui est fort intrigant.

« Everyone will be exposed »

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            Comme ce doux slogan l’indique, Unreal nous donne à voir le monde parallèle et factice d’Everlasting où chaque personnalité est fabriquée, manipulée, puis exposée.

            C’est par les yeux de Rachel Goldberg (Shiri Appleby), une assistante de production fraîchement revenue sur le tournage de l’émission après un léger pétage de plombs professionnel, que nous découvrons l’envers du décor carton-pâte de l’émission. Un monde inhumain où s’activent différents individus, tous plus névrosés les uns que les autres : entre la productrice acariâtre et sans scrupule (géniale Constance Zimmer qu’on a pu croiser notamment dans House of Cards), le créateur du show (Craig Bierko) noyé dans le sexe et la coke, le « Prince » immoral au cœur tendre Adam Cromwell (Freddie Stroma), ou la sous-fifre/larbin de service assistante personnelle (Genevieve Buechener), un bien joli tableau. Sans oublier bien sûr, les candidates écervelées du show, dont les plastiques feraient blêmir cette chère K. Kardashian. Attention, la série se veut trash mais dénonciatrice, si les candidates au premier abord sont montrées plus potiches les unes que les autres, c’est pour mieux révéler leur statut de victime d’un système qui les dépasse.

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Unreal nous montre la télé-réalité comme une théâtralisation à outrance du réel. Dans les coulisses de la production, on « émotionalise » des candidates, on distribue les rôles en fonction de portraits-types déjà établis : il faudra « la méchante », « la black vengeresse », « la MILF » etc, etc. Dans ces bureaux cachés se prépare le scénario de l’émission, véritable combat sentimentalisé entre candidates. On voit alors que chaque dispute est orchestrée, que chaque jalousie est volontairement insufflée. Aussi, les producteurs et cameramen n’hésitent pas, par exemple, à intégrer dans leur chef d’œuvre les drames personnels des candidates, poussant parfois même le vice à des fins bien morbides. La manipulation des émotions des candidates est au cœur du métier de Rachel Goldberg, l’assistante productrice paumée entre repentance et opportunisme, qui ne rechigne pas à créer toutes sortes de trahisons, faux-secrets et faux-semblants entre les protagonistes de cette petite comédie humaine. Dans Unreal, la télé-réalité est dépeinte comme une vaste blague sur laquelle plus personne, ni les réalisateurs ni les producteurs ni même les créateurs du show, ne semblent avoir d’emprise. Car l’on se rend bien vite compte que derrière ce culte voué aux images qui « marchent », se tient le démon du capitalisme, la surenchère de l’argent, l’argent, toujours l’argent, toujours plus d’audience, de pressions, et toujours moins d’éthique.

« Enfin ! »

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            Alors Unreal, à la hauteur de ses ambitions subversives, really ? A en voir les titres des médias à la sortie de la série, oui. En France, les rédactions font un bon accueil à cette série, qui montrerait enfin les coulisses d’un programme emblématique à des téléspectateurs en quête de vérité : « Enfin une série qui critique la télé-réalité du bon côté ! » titre Rue89, « Unreal, les dessous sales de la télé-réalité » chez Télérama, ou encore « Unreal, la série subtile et trash » pour les Inrocks. Unreal peut, en effet, être vue comme une série novatrice dans le sens où elle nous amènerait à réfléchir sur les relations de pouvoir au sein d’un type d’émission que l’on regarde souvent sans trop se poser de question. Mais malheureusement, malgré un pitch prometteur, la série perd en profondeur au fil des épisodes. Alors qu’on s’attendait à un scénario incisif, celui-ci s’essouffle et gagne en banalité, délaissant l’œil critique pour nous conter des histoires d’amour entre les protagonistes. De plus, le découpage un épisode/un focus sur l’une des candidate fait tomber Unreal dans un torrent d’eau de rose soporifique. Bref, ça se ramolli et c’est bien dommage.

            S’il y a bien un avis qu’on attendait, c’est celui des professionnels du milieu de la production télévisuelle. Chris Harrison par exemple, producteur de Bachelor USA, n’a pas manqué de fustiger la série, la taxant d’irrespectueuse pour la profession et les candidats. Selon lui,  l’ambiance déshumanisée dépeinte par les réalisatrices serait totalement fictionnelle, et il n’hésite pas à comparer les petites audiences d’Unreal aux scores dantesques de Bachelor (sans blague).

Unreal mérite-t-elle ses louanges ?

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            Il faut savoir que Sarah Shapiro est elle-même une ancienne du milieu, puisqu’elle a été assistante de production de la célèbre émission de Dating Bachelor dans ses années d’errances. Une erreur de parcours, sans doute. La voilà donc mettant en scène Rachel Goldberg, véritable alter-ego qui serait retournée dans le droit chemin de la télé-réalité – contrairement à Shapiro qui, elle, a complètement quitté cette industrie pour se tourner vers la réalisation. Elle tire d’ailleurs l’intrigue d’Unreal du court-métrage Sequin Raze qu’elle a réalisé en 2013, où elle raconte là encore les luttes de pouvoir dans le monde merveilleux de la télé-réalité. Comme le rappelle les Inrocks, des films au sujet similaire ont déjà été réalisés :  Siberia (2013, Matthew Arnold), Studio 60 on the Sunset Strip (2006, Aaron Sorkin), ou encore 30 Rock (2006, Tina Fey).

            Dans Unreal, le regard de Rachel, véritable alter-ego de Sarah G. Shapiro, nous fait converger vers une réelle empathie envers les candidates, d’abord montrées comme des potiches hystériques, puis comme des pauvres jeunes femmes en manque de repères, et donc hautement manipulables. Tout au long de la série, Rachel se retrouve tiraillée entre son dégoût de la production et son extrême habilité à parvenir malgré tout à ses fins en termes de production : c’est en effet elle qui se charge le plus d’orienter les discours et les comportements des filles. On s’imagine alors que Shapiro retranscris à 100% son propre vécu de productrice d’émission de télé-réalité.

            Par cette mise en abîme extrême, Unreal ne serait-elle pas pour la réalisatrice une façon de se déculpabiliser plutôt qu’un réel plaidoyer contre la profession ? Le lancement de la série a entièrement tourné autour de la révélation et de l’accusation du milieu malsain d’un programme tout à fait courant dans nos vies. Mais si Shapiro voulait réellement fustiger les « dessous trash » de la télé-réalité, alors pourquoi avoir choisi le format série ? Quand on voit la tournure mélo-dramatico-niaise que prend la série après quelques épisodes, on ne peut que remettre en question la pertinence du propos de la réalisatrice. Si l’intention de Sarah G. Shapiro avait été de mettre en lumière les fameux « dessous cachés », alors pourquoi ne pas avoir choisi par exemple le documentaire ?

            En faisant une production scénarisée sur une autre production scénarisée, le caractère incisif d’Unreal se saborde de lui-même. En cela, on peut donc dire, a contrario des autres médias qui ont vu en cette série une véritable « révélation », qu’Unreal n’a décidément rien de subversif.

Mathilde Dupeyron