Une affaire de famille — Quand les liens se font et se défont

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Mai 2018, à Cannes, Cate Blanchett et le jury du festival remettent au japonais Hirokazu Kore-eda la Palme d’Or pour son dernier film Une Affaire de Famille. Pourtant, la concurrence est rude, le film se démarque alors qu’il concourt aux côtés de Capharnaüm de Nadine Labaki, BlacKkKlansman de Spike Lee, Burning de Lee Chang-dong et 17 autres longs-métrages très prometteurs. Cate Blanchett et son jury sont attendus au tournant, et choisissent la sobriété de la mise en scène et l’histoire touchante d’Une Affaire de Famille pour le prestigieux prix.

Kore-eda est loin d’être un novice, il démarre la réalisation de long métrage en 1995 avec Maborosi, et est un habitué de Cannes où sept de ses films ont été sélectionnés par le passé. Il gagne en popularité en 2004 grâce à Nobody Knows, marque les esprits avec Still Walking en 2008, puis Tel père tel fils, prix du jury au festival de Cannes 2013. La filiation et les sentiments sont au coeur de son oeuvre, Une affaire de famille en est sans doute la forme la plus aboutie. On regrettera peut-être la sous-médiatisation de sa sortie en salle à l’approche de Noël, un film qui aurait mérité une visibilité à la hauteur de sa justesse quant au traitement des sentiments familiaux.

La remise en question de ce qui définit une famille

Le film démarre sur une intrigue simple: la famille Shibata qui vit dans la pauvreté et de la débrouille de chacun (comprendre vols à l’étalage et larcins principalement), recueille une petite fille dans la rue. On ne se questionne pas au départ sur les liens qui unissent les habitants de cette petite bâtisse. On découvre au même rythme que la petite Yuri qui est qui, qui fait quoi, quelle est la contribution de chacun pour ramener de l’argent ici. Ce n’est que par morceaux que l’on comprend comment s’est construite cette famille et comment ce lien fragile qui les unit ne cesse d’être remis en cause. Ce qui donne toute sa puissance au film réside dans le fait que la définition de la famille est sans cesse remise en question, d’autant plus que cette dynamique s’encastre dans un subtil processus de déconstruction de l’unité familiale au profit de la construction des identités individuelles, qui se révèlent tout au long du film. L’histoire est touchante et même prenante car le cinéaste propose une vision qui fait écho à la famille, un sujet vivement remise en cause dans son essence, notamment en occident.

La tentative de construction de la famille dans le film passe par plusieurs procédés, par exemple par le changement des noms des membres. Ainsi Yuri la petite fille recueillie devient Rin Shibata et s’insère dans le système mis en place; de même la propriétaire de la maison est appelée « mamie » par les cinq autres membres de la famille. Ce même système a ses défauts, dans la mesure où la famille qui semble réelle de l’extérieur n’est en fait que très floue lorsqu’on prend la place d’un des habitants de la maison. Le statut qui lie les cinq membres oscille sur une ligne invisible, un temps les membres se sentent famille et on le ressent, comme en témoigne la scène à la plage très émouvante. À d’autres moments du film on voit cette façade partir en fumée au bénéfice des intérêts ou des identités personnelles. C’est là que le film ne nous laisse pas insensible, chacun essayant de se convaincre de la solidité de cette famille pour paraître normaux dans la société, et affronter d’une même force les difficultés du quotidien. Le scénario de Kore-eda déborde d’humanisme et permet, grâce à la mise en scène, d’observer dans la plus belle simplicité les sentiments et les liens qui les unissent tous mis à mal et questionnés. Le spectateur est à la fois complice dans les larcins et témoin de l’évolution des liens.

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Une mise en scène sobre et efficace

Le développement psychologique des personnages est souligné très sobrement par la mise en scène de Kore-eda et la manière dont ses acteurs sont filmés. C’est là la force du style du réalisateur, du cinéma de fiction presque documentaire, aux images sobres, avec peu de mouvements de caméra, beaucoup de plans fixes, souvent très éloignés, et des décors simples qui nous obligent à nous concentrer sur les personnages et mieux que ça, sur leurs intériorités. Plus concrètement la scène de vacances à la plage est très forte parce que c’est sans doute là qu’on sent le plus de complicité entre les personnages. La caméra se pose au milieu de la plage comme si nous étions en train d’observer ces gens de loin, et oui, là, le projet de former une famille semble être à son apogée.

Une construction familiale ambiguë

Le film souligne aussi le tiraillement des membres de la famille entre la question économique et les liens affectifs qui les unissent. La petite fille n’est recueillie que par pure pitié parce qu’elle est en détresse, mais elle demeure une bouche de plus à nourrir dans une maison où le manque d’argent est le principal problème. Ce premier élément du film nous propose alors une vision de la famille dont l’esprit d’entraide prime. Mais justement, cette indécision entre un lien affectif ou économique ne cesse de revenir tout au long du film. Par exemple Shōta le jeune garçon de la maison est lui beaucoup plus utile puisqu’il aide aux larcins du « père », et il participe pleinement à l’élaboration de la famille en étant considéré comme le « frère » et donc un genre de modèle pour la petite recueillie. Cette construction ambiguë est centrale et révèle la force du scénario. Lorsqu’un larcin rate, on est forcé de constater que la famille est de nouveau mise en péril.

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Une affaire de famille, par son style proche du documentaire et la finesse avec laquelle les questions soulevées sont traitées est un film d’une grande justesse qui permettra au spectateur de réfléchir sur les rapports humains. Un beau moment de cinéma donc, et une palme qui, cible de critiques, se défend tout de même…

Nathan SOLDA

Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hirokazu_Kore-eda

https://fr.wikipedia.org/wiki/Une_affaire_de_famille_(film,_2018)

Photos : allocine.fr