Jessica Jones : Alcoolique dépressive et Super-héroïne

Jessica Jones, dès sa création par Brian Michael Bendis et Michael Gaydos pour les comics Alias, se caractérise comme une héroïne tout à fait atypique. Le visage cadavérique, les cernes, l’instabilité mentale : le personnage est sombre, presque plus sombre que l’univers particulièrement sanglant et impitoyable dans lequel il évolue. Ce n’est donc pas vraiment une surprise lorsque Netflix, de toute évidence parti dans une relecture des Marvel les plus noirs comme on l’a déjà vu avec Daredevil, prend possession de l’histoire de la jeune détective privée reconvertie pour l’adapter sur petit écran. Cette fois-ci, le jeu en vaut certainement la chandelle, et on ne peut qu’applaudir ce terrible bijou de treize épisodes plus prenants les uns que les autres.

Dès les premières minutes, l’ambiance est posée : lourde, étouffante, les rues sont sinueuses et grises, la fumée est violette, la silhouette de Jessica s’y trimballe flanquée de son appareil photo pour prendre sur le fait des couples infidèles dans une ville corrompue emplie de relations creuses et brisées. La détective privée, dont les cicatrices sont très rapidement mises en avant via un traitement très brutal, mais toujours juste, du stress post-traumatique, rappelle très peu l’image qu’on se fait d’une héroïne style Avengers. Ses pouvoirs d’une part ne sont sujets d’aucune représentation particulière – pas de grands moments grandiloquents, rien de très impressionnant à part quelques coups de poing un peu trop efficaces et une agilité supérieure à la norme- et en effet on se rend vite compte que la série tient davantage du thriller psychologique qu’autre chose. Là où les classiques du genres exposent des super-héros qui, malgré leurs difficultés, présentent une puissance non négligeable face à l’ennemi, Jessica Jones renverse tous les codes. Elle est assez lâche, vulnérable, égoïste, et particulièrement hantée par un passé pathétique et malheureux. Ce, face à un « grand méchant » qui la terrifie et la domine. La fin glaçante du premier épisode incarne bien ce déséquilibre désespérant dans leur rapport de force qui sera au centre de la progression de l’intrigue.

Le traitement du « grand méchant », ici nommé de façon très évocatrice Killgrave, est en effet ce qui fait une des grandes forces de la série. Il s’agit d’un psychopathe capable, par la moindre parole, de contrôler l’esprit des gens qui l’entendent. Peu importe l’ordre donné, qu’il soit conscient ou non de sa part, on ne peut qu’y obéir. Telle une malédiction, il se trimballe de foyers en foyers, détruisant des vies par simple caprice ou impulsivité, donnant lieu dans la série à des scènes dures, gores et dérangeantes. Le fait que ce soit David Tennant, très remarqué dans les séries anglaises Doctor Who et Broadchurch, qui incarne ce rôle, n’est qu’un plus. Son petit costard, son accent anglais et ses grands yeux fous effrayent autant qu’ils charment le spectateur. Car, si Killgrave est un enfoiré de sociopathe, il est aussi fascinant, profond et étrangement attachant. Il est notamment à la source d’une grande partie de l’humour noir qui ponctue la série, offrant des répliques savoureuses, tel le fameux : « I always have to think very carefully before talking (…) I once told a man to screw himself, can you imagine? »… sourires et rires gênés garantis. Croyez-moi, avec sa jolie bouille et ses tendances à demander aux gens de s’ouvrir la gorge ou se découper un bras quand il est irrité, on adore le détester.

Esthétiquement, il n’y a rien à y redire, la caméra sait se glisser dans les boulevards pluvieux, au dessus des toits noirs, s’immisce tel l’appareil de Jessica dans l’intimité la plus profonde des personnages pour nous offrir des points de vue magnifiques et horrifiants sur les vies décharnées qui sont exhibées à l’écran. Rien n’est caché, ni le sang, ni le sexe, ni la violence et, autant se l’avouer, on se délecte.

 

Adeline Méheut