Les familles de dégénérés : du slasher au film d’angoisse

 

« We all go a little mad sometimes… »
Psychose d’Alfred Hitchcock

Lecteurs, lectrices, je vous invite à entrer dans les abysses des pires scènes de cruauté. Installés dans vos confortables canapés, vous décidez ce soir d’être témoins de l’horreur. J’ai intitulé cette sombre histoire : Les familles de dégénérés, du slasher au film d’angoisse…

Nous avons tous entendu parler de cet idiot du village laissé pour compte et un peu crasseux, dont la vengeance sera terrible. Ou encore, la traversée du désert qui tourne au cauchemar, la fable sociale illustré par une séquestration sordide, la spirale meurtrière d’un sociopathe tyrannisé par sa chère maman, ou encore le célèbre week-end entre amis qui tourne mal, très mal. Le thème du refoulé de la société a son lot de personnages répugnants. Ces leitmotive de films d’angoisse exposent une atmosphère bien particulière teintée d’une violence malsaine.

Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper est un des premiers slasher, genre mettant en scènes les massacres d’adolescents par un meurtrier psychopathe. L’imaginaire d’un Texas miteux et angoissant offre à ce célèbre film une puissance esthétique indubitable. La famille Hewitt demeure une des familles de psychopathes cannibales les plus célèbres. Hooper joue avec les traditions et transcende les codes sociaux. Le sordide spectacle du repas familial à la fin du film chamboule une certaine morale américaine. Dans Redneck movies : ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain, Maxime Lachaud affirme que « Massacre à la tronçonneuse file la métaphore politico-sociale, à commencer par la famille américaine, plus qu’égratignée ». Dans Massacre à la tronçonneuse, il y a un décalage entre le fond et la forme. Il n’y a presque pas une goutte de sang et aucun crime n’est ouvertement montré à l’écran. Le pouvoir de suggestion est imagé et laisse imaginer au spectateur qu’il est en train d’assister à un bain de sang. L’esthétique du monstrueux est elliptique. La seule goutte de sang apparaît à la fin quand Leatherface chute et se blesse lui même avec la tronçonneuse. De la même manière, contrairement à ce que le titre du film annonce, il n’y a qu’un seul massacre à la tronçonneuse. Le film s’inspire de Psychose d’Hitchcock et notamment de la célèbre scène de la douche où se discute le questionnement entre ce que le spectateur voit et ce qu’il croit voir. Janet Leigh affirmera que «  chaque coupure est comme un coup de couteau ». En effet, l’enchaînement des plans, la musique, les mouvements et le montage donnent au spectateur l’impression qu’il voit  Janet Leigh se faire éventrer à l’écran. Cette scène peut être mise en parallèle avec la scène du crochet dans Massacre à la tronçonneuse. Avant de réaliser que Pam s’est faite accrochée par Leatherface à un crochet de boucher, le dos de la jeune fille est dévoilé à plusieurs reprises. Ces choix esthétiques donnent à la scène une certaine vraisemblance et un symbolisme suggéré. De la même manière, Halloween de John Carpenter est un film qui suggère une horreur visuelle mais ne la montre pas explicitement. Michael Myers est un psychopathe célèbre qui tue sa propre sœur à l’âge de six ans. Il est placé en Hôpital psychiatrique et s’échappe afin de retourner sur les lieux de son enfance… Encore une fois le thème de la famille et de l’enfance sont un trouble pour ces psychopathes avérés.

Dans La Colline a des yeux de Wes Craven nous sommes à nouveau face à une famille de cannibales dont les enfants sont issus de relations incestueuses. Cette famille (dont le nom n’est jamais énoncé) est composée d’anciens mineurs qui refusent de quitter les lieux d’essais nucléaires. Avec le temps, les retombées radioactives les ont fait muter. Ces irradiés marginaux s’adonnent à des actes de barbarie monstrueux. Une famille américaine lambda et citadine s’aventure dans ce désert aride où les irradiés vont leur faire subir les pires sévices. Cette famille sauvage s’oppose à la civilisation de la société moderne et est témoin, en filigrane, de l’animalité intrinsèque à l’être humain. Les codes de la société contemporaine américaine sont à nouveau chamboulés par un monde de sanguinaires psychopathes. Dans Redneck movies : ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain, Maxime Lachaud exprime le fait que « ces films mettent l’Amérique bien-pensante face à un soi-disant idéal, un retour aux sources […] les rednecks cristallisent l’inversion des mythes devenus insensés ».

Dans The Woman de Lucy McKee le spectateur est témoin d’une confrontation entre monde sauvage et monde dit « civilisé ». Encore une fois, nous sommes spectateurs d’un conflit de valeurs où les rapports de force sont manifestés par la violence. La famille Cleek est en apparence

une famille ordinaire de la société bourgeoise occidentale. Or, le vice n’épargne personne… Le père de famille contrôle sa famille tel un petit dictateur. Il humilie sa femme et sa fille et tente de forger son fils à son image dans une logique radicalement machiste. Cette famille déséquilibrée est secouée par un événement particulier. Le père trouve une femme « sauvage » dans les bois et décide de la « civiliser » en l’enfermant dans son garage. Cette étrange inconnue devient un terrain d’expérimentation pour le père qui veut apprendre à son fils comment soumettre une femme… Les choses ne vont, bien évidemment, pas être aussi simples. Cette famille est le signe d’une société machiste et dictatoriale où il y aurait des dominants et des dominés. Cette empreinte féministe se retrouve dans le film coréen Blood Island de Jang Chul-soo où une femme subit l’horreur de l’humiliation et s’engouffre dans une vengeance enragée.

Dans Angoisse de Bigas Luna, John est un jeune homme instable dominé par une mère possessive et déséquilibrée (clin d’oeil à Psychose, encore une fois). Il perd petit à petit la vue et se venge de sa frustration sociale et médicale en égorgeant ses proies et en leur arrachant les yeux. À voir absolument… mention spéciale pour la scène de mise en abyme d’un meurtre dans une salle de cinéma devant un film classique de l’horreur où l’action répond à l’écran et vice versa. Dans Angoisse, la violence est malsaine et visuellement affichée. Ce film fait preuve d’un travail visuel évident où le dialogue laisse la place à l’image.

Ces familles de dégénérés sont partout à l’écran et bombardent leurs spectateurs d’une violence malsaine. Ces films sont immoraux or, l’horreur peut aussi avoir une puissante charge symbolique et le travail visuel en témoigne. Les mises en scène hallucinées et le déferlement de violence fascinent le spectateur et transcendent les conventions où une tension demeure entre littéral et symbolique…

Liste (assez exhaustive) de films sur le thème « famille de dégénérés » :

Massacre à la tronçonneuse  de Tobe Hooper (1974)

Halloween de John Carpenter (1979)

La Colline a des yeux, Wes Craven (1979)

Mother’s Day, Charles Kaufman (1980)

Angoisse, Bigas Luna (1987)

Braindead de Peter Jackson (1993)

Devil’s Reject de Rob Zombie (2005)

Sheitan de Kim Chapiron (2005)

La Colline a des yeux, Alexandre Aja (2006)

Halloween de Rob Zombie (2007)

Blood Island de Jang Chul-soo (2010)

The Woman, Lucy McKee (2011)

The Visit de M. Night Shyamalan (2015)

….

Charlotte Renaudat-Ravel