Les Enfants du Paradis, de Marcel Carné

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Pantomime : art d’exprimer les passions, les sentiments, les idées, par des gestes et par des attitudes, sans le secours de la parole.

           Ce conte poétique de Marcel Carné, sublimé par les textes de Jacques Prévert, est une fresque romantico-tragique. Au cœur, l’histoire d’amour contrariée de Garance et Baptiste, seul amour à être réciproque. Tout autour se tissent des histoires parallèles, mais toutes convergent vers Garance. À travers le Théâtre des Funambules et son public assoiffé, avide de rires, perché sur les loges du Paradis, et à qui le parterre plus aisé crie « Vos gueules là-haut on n’entend plus la pantomime », Marcel Carné dépeint la classe populaire. Cette classe à laquelle appartient Garance, elle qui n’a ni nom de famille, ni véritable prénom, Garance étant un nom d’emprunt. Dans cette fresque, Marcel Carné joue avec les contrastes, donnant à voir tour à tour des scènes de foules et de liesse, puis des scènes intimistes, qui soulignent la solitude des protagonistes. Cette solitude dont chacun souffre, ou a souffert, à sa manière, et qui a fait d’eux ce qu’ils sont devenus. 

 Chapitre 1 : Le boulevard du crime

           Garance est une fille de mauvaise vie et de mauvaises fréquentations pour qui tous se disputent. C’est celle qui, au début de l’œuvre, dévoile la vérité, la vérité sur la chair, mais seulement jusqu’aux épaules. Garance est une femme du peuple, une femme simple, c’est la Vox Populi, et rien de tel pour incarner cela que la voix gouailleuse d’Arletty, icône populaire des années 30. Mais avant tout Garance est une femme forte, indépendante et libre. « Alors j’peux m’en aller ? Bah oui, vous êtes libre. Tant mieux, parce que moi j’adore ça, la liberté. » Tout d’abord, sa route croise celle de Pierre-François Lacenaire, voyou, voleur et meurtrier. Il est cérébral et calculateur. Lacenaire ne désirera Garance que par orgueil et elle ne verra dans sa compagnie qu’un moyen de tromper l’ennui. Nul d’amour entre eux. « Vous avez la tête trop chaude, Pierre-François, et le cœur trop froid. Je crains les courants d’air. Je tiens à ma santé, à ma gaieté ».

 Puis sur le boulevard du crime, elle rencontre Frédérick Lemaître (interprété par un fantastique Pierre Brasseur, le père de Jacky pour les plus cinéphiles d’entre vous). Personnage truculent, haut en couleurs, Frédérick est beau parleur et fait tourner la tête de ces dames. Lui qui ne rêve que d’une chose, jouer la comédie, intégrera le Théâtre des Funambules peu de temps avant Garance. Là, tous deux se livreront à un amour charnel, rempli de bons mots, mais dénué de sentiments, car sous la nuit sans lune, c’est bien le prénom de Baptiste que Garance murmure dans ses rêves. Baptiste, dont Garance croisa le regard sur ce même boulevard. Baptiste, mime solitaire et lunaire. On dit de lui qu’une « nuit que la lune était pleine, il est tombé, c’est tout. » Baptiste (le céleste, l’angélique Jean-Louis Barrault), joue la pantomime sur les planches du Théâtre des Funambules, c’est lui qui en ouvrira les portes à Garance. Dès le premier regard, le mime tomba éperdument amoureux d’elle, d’un « amour ardent, passionné, rêveur et poétique ».

 Alors le Pierrot mutique, perché sur sa lune, ayant choisi la fille de la rue, délaissera l’étoile, qui jusque ici ne brillait que pour lui et qui maintenant ne brillera plus. Cette étoile, c’est Nathalie (une Maria Casarès douce, fragile, poignante et d’une infinie justesse), « fraîche comme la rose et pure comme le lys. » Elle qui, désespérée, n’a d’yeux que pour Baptiste. Nathalie est triste et asséchée, quand Garance, elle, est solaire, elle rayonne, elle rit, et quel rire ! « Je souris toujours » répond-t-elle quand Nathalie l’accuse de ne pas aimer Baptiste, ou de l’aimer trop peu, ou du moins pas assez, en tout cas pas comme elle, pas autant qu’elle ne l’aime. Garance sourira aussi à ceux qui l’accusent de complicité de meurtre. Sur scène le Pierrot et l’Arlequin rejoueront le drame des coulisses, c’est aussi Baptiste, qui, trop timide, laisse Garance tomber entre les bras de Frédérick. Mais cette scène préfigure également la fin de la pantomime, c’est la voix contre le geste, l’acteur contre le mime. Frédérick est comme il aime à se décrire : « la voix même de l’amour », poète éloquent, citant Shakespeare pour séduire la gente féminine, alors que Baptiste est l’amoureux silencieux et simple. Mais après tout, la simplicité sied si bien à Garance…

 Enfin, pour clore cette première partie, Garance rencontre Edouard, comte de Montray, spectateur averti, homme conquis et aristocrate à la richesse bien portante. Il offre à Garance un abri, une compagnie. « Un seul mot de vous et tout peut changer » lui dit-il. Car après tout, il est bien question de cela, des mots que l’on dit et de ceux que l’on tue.

 Chapitre 2 : L’homme blanc

           Quelques années ont passé. Dans cette seconde partie, Garance jouit de la protection du comte de Montray, qui, on le suppose, la fait blanchir des accusations de meurtre qui pesaient sur elle. À ses côtés, Garance est devenue une femme du monde. L’accent de la rue s’est peu à peu perdu dans les voilettes, les bijoux et les dorures. De retour à Paris, Garance passe toutes ses soirées au Théâtre du Funambule, où Baptiste joue chaque soir à guichets fermés.

« Écoute le Paradis Frédérick. Je riais comme cela moi aussi, autrefois. Oui, j’éclatais de rire sans raison, sans penser à rien d’autre qu’à rire.
– Et maintenant… Tu es triste.
– Non. Mais je ne suis pas gaie non plus. Dans la boite à musique, un petit ressort s’est cassé. L’air est toujours le même, mais la musique a changé. (…)
– Tu l’aimes bien, hein ?
– Depuis le premier jour où je suis partie, pas un jour n’est passé sans que je pense à lui. »

Mais sur scène, le spectacle a changé. Désormais, le Pierrot tue pour sa belle et cette fois-ci, Nathalie a repris le premier rôle. Car Baptiste et Nathalie sont maintenant mariés et ont un fils. Baptiste s’est plié à la contrainte sociale, il est devenu raisonnable, mais raisonnablement triste. Nathalie est l’épouse, par conséquent elle est celle de la « petite vie de tous les jours », celle avec qui on partage les bassesses du quotidien. Quant à Garance, elle est celle qui s’en va, et le temps joue pour elle. Elle part, on la regrette, et on l’aime plus encore à son retour, car on l’a sublimé pendant son absence. Alors, inévitablement, Baptiste retournera vers elle, et la lune une fois encore, les couvrira de son drap de lumière blanche.

 Mais au-delà de l’amour, c’est la jalousie qui domine ce second acte. Celle de Nathalie envers Garance, bien sûr, mais également celle de Frédérick à l’égard de Baptiste. Frédérick connaît maintenant le prix de la perte, et le goût amer de la rancœur. Mais grâce à cela, il connaîtra aussi le triomphe, enfin capable de se glisser sous les traits de l’Othello vengeur. Mais c’est encore la jalousie possessive du comte et celle aigrie de Lacenaire qui causeront le plus de mal. « C’est pourtant le même bois sous le chapeau du pauvre, sous la couronne du roi. Le bois mort de l’amour qui pourrit, sur la tête de ceux qui ne sont pas aimés. » Mais ici s’achève ce récit. Que ceux qu’il a intrigués se donnent la peine de fouler les planches du Théâtre des Funambules, pour voir par eux même, ce qu’il en est. Mais surtout n’oubliez pas : « Un coup de pied au cul, quand il est bien donné, peut faire rire le monde entier. »

Mélissa Lazzari

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