Le lycéen sera votre film préféré de 2023

Un film réalisé par Christophe Honoré
Johnny and Mary, de Robert Palmer, musique du générique de fin du film

Il le disait de Godard lors de son hommage dans Le Monde en septembre dernier : les cinéastes capables de produire des films comme des étreintes ne sont pas si rares, mais aucune n’est aussi exaltante que la sienne. On pourrait dire la même chose en retour de Christophe Honoré et de son film Le lycéen, sorti le 30 novembre 2022. Acclamé par le cinéma d’auteur français depuis Les chansons d’amour (2007) dont on se remémore la voix suave de Louis Garrel, et toujours entouré d’un casting de renom ainsi que des thèmes qui lui sont chers, Christophe Honoré nous raconte désormais un peu de sa propre histoire avec un acteur novice et cela fonctionne parfaitement.

Le style Honoré est immédiatement identifiable : l’hiver, le rose, les choix musicaux impeccables, la caméra épaule, les baies vitrées sur Paris. Dès le début, on se sent gâté, c’est si joli, doux et froid. L’ambiance est similaire à celle si précieuse de Plaire, aimer et courir vite (2018). La violence se fait attendre. C’est en effet un beau film hivernal qu’il a lui-même décrit comme un « film parfait de novembre ». A défaut d’avoir eu le temps de se ruer en salles, on l’appréciera tout autant en janvier. On savoure l’alternance de séquences très stylisées et de plans en caméra portée, un savant mélange de violence et de maniérisme.

« C’est d’une beauté qui me réchauffe »

Le personnage du lycéen est génialement joué par Paul Kircher, 21 ans, qui nous a fait le cadeau de suspendre sa licence de géographie pour tourner ce film. Lucas est paumé, gauche, sa diction maladroite est limite irritante. On se laisse agréablement tanguer entre émotion et agacement, c’est le juste équilibre pour parler d’adolescence. Le lycéen est un film qui parle de jeunesse à la jeunesse, et pour une fois c’est bien fait. Et c’est soulageant de voir un film avec un personnage principal homosexuel qui propose autre chose qu’un coming-out. Les autres personnages sont tout aussi justes, on les sait réussis parce qu’ils nous touchent et nous crispent simultanément. 

Le traitement de la honte est violent et touchant, c’est un thème que l’on sait cher au réalisateur, mais Le lycéen est probablement son film le plus personnel et ça se voit : l’impudeur, la franchise et le chagrin de Lucas sont les siens. Le deuil est également traité avec une grande acuité, sans tomber ni dans les effets de style ni dans le pathos excessif, et cela grâce à une temporalité formidable. L’histoire commence à Chambéry, Honoré s’éloigne dans ce film de sa Bretagne habituelle pour raconter la vie de Lucas, l’accident de son père, l’arrivée de sa famille jusqu’au soir de l’enterrement. S’ensuit le chapitre parisien, tendre flottement qui permet d’approfondir les thèmes de l’adolescence et du désir. Dans une ville si bien filmée, la souffrance qui se profile sait se faire attendre. Enfin, le retour en Savoie marque la brutalité du deuil et de la perte des repères, et c’est dans cette douleur en décalé que réside la force du Lycéen.

« Notre vie d’avant elle est finie, et puisque c’est comme ça il faut que tout change. »

Quelques maladresses inévitables cependant : certaines séquences paraissent superficielles, notamment celles des entretiens, un petit virage vers l’affèterie, la suranalyse. Et le vernis à ongles du lycéen comme acception de son homosexualité ? On soupire un peu. Certaines répliques vous feront probablement grincer des dents, mais on lui pardonne volontiers : est-ce contournable quand on parle d’adolescence ? 

En gros, Le lycéen est un de ces films « quietly heartbreaking » que l’on ne digère pas immédiatement, et c’est grâce à cela qu’on sait qu’il restera avec nous. Il nous aide à naviguer à travers le cinéma d’auteur français et à préciser nos goûts. S’il fallait en garder un échantillon emblématique, on choisirait la couleur rose si douce et si froide, un générique de fin superbe et l’envie furieuse de s’acheter une paire de mitaines. On vous souhaite de sortir du cinéma en chouinant et de rentrer en vélib’, la musique du film dans les oreilles (attention cependant au code de la route). On vous souhaite aussi une belle année 2023, ponctuée de films doux et beaux.

Par Agathe Desfossez