Lars Von Trier : un retour sanglant avec The House That Jack Built

Qui a dit que l’art et la mort n’avaient rien à voir ensemble?
Car pour Jack, le protagoniste du nouveau film de Lars Von Trier, tuer est un Art avec un grand A.
Alors tenez vous bien, car on descend dans le monde sordide du danois et il n’est pas dit qu’on en ressortira indemne.

Mais où était donc passé Lars Von Trier? La dernière fois qu’on avait vu une de ces réalisations sur le grand écran, c’était il y a 5 ans avec Nymphomaniac, porté par Charlotte Gainsbourg, Stacy Martin et Shia Labeouf. Avec The House That Jack Built, un projet annoncé il y a deux ans de ça, le réalisateur réitère son ton pessimiste et nihiliste auquel on s’est habitué depuis quelques années maintenant. Son but? « Célébrer l’idée que la vie est maléfique et dénuée d’âme, ce qui a malheureusement été prouvé par l’avènement récent de l’homo trumpus : le roi rat. »

« If you feel like screaming, I definitely think that you should. »

Que nous révèle l’autopsie de cet ovni cinématographique? Et bien un film sur les chefs-d’oeuvre, le bon vin et les pizzas qui dorment à côté de cadavres pétrifiés.
En effet, si le titre fait allusion à la comptine anglo-saxonne pour enfant This Is the House that Jack Built, le réalisateur écrit au contraire un thriller plutôt anticipable à l’image des films du même genre. On peut deviner qu’il s’agit là d’un effet voulu, surtout dans les scènes de meurtre; pourtant cela n’empêche pas une part d’incertitude et de surprise dans les séquences interstitielles du film.

Du reste, il s’agit d’un ensemble plutôt cohérent avec une atmosphère froide et aseptisée à l’image de la personnalité de Jack, malgré un épilogue qu’on pourrait trouver superficiel voire inutile. Sa seule fonction est d’ancrer et de matérialiser la métaphore filée de l’Enfer de La Comédie Divine de Dante. Plus expérimental en termes de techniques, l’épilogue contrebalance avec le tout et prolonge le film qui avait déjà atteint son acmé à la fin du récit du 5ème incident. Mais bon, si Lars veut profiter et nous montrer son enfer, on ne va pas se priver.

Masque et obsession du tueur en série

À la poubelle toutes les explications psycho-sociologiques du comportement déviant : on les connaît toutes à force d’être répétées à l’infini dans un continuum de productions sur les tueurs en série… Jack est un serial-killer, un point c’est tout. Enfin, presque : c’est aussi un architecte et non pas un ingénieur (mieux vaut éviter toute confusion). En 5 « incidents », Jack retrace sa carrière et déroule le fil de son obsession qui le mène jusqu’aux enfers. En choisissant de tourner du point de vue subjectif, l’enquête policière qui fait d’habitude l’objet premier du scénario, disparaît et est même moquée dans la mesure où Jack semble ironiquement échapper à toute punition alors même qu’il devient de plus en plus négligent.

Le plus intéressant dans ce travail autour du tueur en série c’est la mise en abyme du rôle d’acteur. En effet, la figure du psychopathe n’est-elle pas emblématique de la manipulation sentimentale du commun des mortels par une personne dépourvue de toute empathie? L’acteur, ici celui qui évolue face à la caméra, interprète donc un psychopathe qui est lui-même un acteur dans le monde social, prétendant être doué de sentiments.

Compris de telle manière, il s’agit d’un jeu auquel se porte très bien Matt Dillon, aussi énigmatique que charismatique dans un rôle qui s’éloigne de ses derniers films à tendance plus hollywoodienne.

« Je provoque donc je suis »

Ce qu’on a oublié de dire, c’est le fait qu’on se retrouve à rire plus d’une fois face aux situations absurdes dans lesquelles Jack se retrouve et il faut admettre qu’il est difficile d’être insensible à l’humour (très) noir de Lars von Trier. Malheureusement, force est de constater que cela ne plaît pas à tout le monde, surtout les plus sensibles. Il n’y a pas qu’à Cannes que les gens sortent en pleine séance, dégoûtés par les visions d’horreurs que von Trier se fait un plaisir de créer.

Alors oui de la violence, mais ne serait-ce pas de la provocation rien que pour la provocation? Soyons honnêtes, on ne va pas voir un film de Lars Von Trier comme on irait voir le dernier Disney. Ce sont certes des images très crues, cependant il n’y a pas non plus de scènes totalement insupportables. Habitué à pousser ses idées jusqu’au bout, on ne peut pas lui reprocher de miser sur un hyper-réalisme du tueur en série. Si tel était le cas, alors à quoi bon en parler tandis que les spectateurs redemandent toujours plus d’effroi et d’horreur, histoire de tester leurs propres morales. La question qu’on est en droit de se poser est la suivante : Lars Von Trier fait-il des films pour un public aguerri à son univers ou pour ceux qui seraient facilement scandalisés, afin d’accroître sa notoriété? L’interrogation reste toute entière.

Lars Von Trier mégalomane? Vous le connaissez mal…

De l’auto-citation, en veux-tu en voilà, c’est aussi ce qu’on peut retenir de The House That Jack Built …alors quel est donc son originalité?
Sûrement le fait qu’on peut entrevoir le protagoniste comme un reflet de la personnalité même de von Trier. Les allusions au nazisme, la concentration de Jack derrière le canon de son fusil ne sont que des métonymies à son rôle derrière la caméra et aux propos qu’il a pu tenir en 2007 lors du Festival de Cannes, suite à quoi il fut banni. Plus encore, c’est un personnage ultra-cynique tout comme son créateur, qui avoue même « (qu’il) aurait fait un grand serial killer ».

On irait même interpréter ses pastiches iconographiques comme une manière de dire « Je suis aussi grand que Delacroix et Dante, et alors? ». Dès lors, la ligne est très fine entre ce qu’on peut penser du réalisateur car autant il faudrait se garder d’être trop fasciné par ce dernier, autant être ennuyé par sa mégalomanie conduirait à négliger une part de génie dont il fait tout de même preuve.

Sing me to Hell

Enfin, peu de musique. On est bien souvent confronté au silence, car on irait pas non plus banaliser le meurtre sur un fond de pop entraînant. Lars Von Trier nous fait quand même un beau cadeau avec Fame de David Bowie qui lui sert de leitmotiv surgissant dans les moments plus « comiques », tout en y faisant l’écho de la folie de Jack :

« Fame makes a man take things over
Fame lets him loose, hard to swallow
Fame puts you there where things are hollow (fame)
Fame, it’s not your brain, it’s just the flame
That burns your change to keep you insane (fame) »

Somme toute, une chanson funk qui permet au réalisateur d’atténuer la violence des actes du serial killer. Au générique, on n’oublie pas Hit The Road Jack, la dernière des bonnes blagues grinçantes qui achève cette expérience infernale que Lars Von Trier nous propose avec The House That Jack Built.

Kenza BENABDELOUHAB

 

Sources :