L’Algérie, un pays sans cinémas (ou presque)

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Ces derniers mois, le cinéma algérien a trouvé refuge dans les salles européennes, fuyant un pays dans lequel le septième art est désormais mis en péril. En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui et Les Bienheureux de Sofia Djama sont parvenus à rendre compte, avec fébrilité et réalisme, de cette Algérie d’après-guerre civile (opposant l’armée à des groupes islamistes) meurtrie par la « décennie noire » des années 1990. Ces films nous renvoient l’image racinienne d’une Algérie triste et majestueuse à la fois, peuplée d’individus lucides et désillusionnés qui parviennent pourtant à s’accrocher avec force à ce qu’il leur reste : l’acception de la mort, l’espoir d’un éveil collectif, le retour du bonheur.

Dans ce contexte, essayons-nous à un état des lieux sur la situation du cinéma algérien aujourd’hui.

Un cinéma en crise

aujourd’hui, une vingtaine de salles de cinéma seulement est encore en activité 

En Algérie, parvenir à voir un film sur grand écran est quasiment mission impossible. Désormais, l’équation est la suivante : « décennie noire » des 90’s + politiques gouvernementales anti-culture = bye-bye salles de cinéma algériennes. Selon le journal Algérie 1, les salles auraient été « victimes » d’un problème administratif que le gouvernement rechigne curieusement à régler. En conséquence, une vingtaine d’entre elles seulement sont encore en activité aujourd’hui, tandis que les autres, fermées, sont laissées à l’abandon. C’est peu, pour un pays qui compte plus de 41 millions d’habitants…

Les ciné-clubs, derniers lieux de débats, de culture et de cinéma

Les Algériens qui refusent de faire des adieux définitifs à l’art du grand écran peuvent toutefois compter sur une poignée de ciné-clubs pour étancher leur soif de cinéma. A Mascara, au nord-ouest de l’Algérie, dans l’un des plus anciens ciné-clubs encore ouverts, on regrette le temps de l’âge d’or de la cinéphilie algérienne, entre la fin des années 60 et la fin des années 70, époque dorée à laquelle « les cinémas ne désemplissaient pas ». Aux côtés des cinémas traditionnels, les ciné-clubs poussaient comme des champignons tintinesques. La production locale était alors florissante et les films d’Alfred Hitchcock et d’Ingmar Bergman s’invitaient sur le petit écran…

Cette vivacité culturelle prend fin dans les 80’s, peu après l’arrivée du président Chadli Bendjedid. Alors affaiblies par des problèmes structurels, les salles de cinéma ferment les unes après les autres tandis que l’État décide d’intervenir dans les ciné-clubs en ordonnant à la cinémathèque algérienne de ne plus les fournir en films. La guerre civile de 1991 confirme alors le divorce que les Algériens ont désormais entrepris avec le grand écran, et seuls quelques ciné-clubs parviennent encore à se maintenir dans la clandestinité. Une manière de continuer à exister.

« Chrysalide », cocon protecteur pour le cinéma algérien

Après les années de « décennie noire », Chrysalide est, à Alger, l’un des tout premier ciné-club à éclore, à l’image des fleurs de cendre d’Anselm Kiefer qui poussent dans un paysage de chaos une fois la bataille passée. Parmi ses membres, réunis autour de films muets, de western, de classiques du cinéma russe, il y a Karim Moussaoui, Hassen Ferhani ou Sofia Djama, qui deviendront trois réalisateurs majeurs du nouveau visage endossé par le cinéma algérien. En outre, Chrysalide fait aussi office d’école de cinéma, dans un pays où il n’y en a pas.

Les missions des ciné-clubs :  réhabiliter les salles de cinéma abandonnées, rendre visible les films algériens auprès des Algériens et créer un espace de liberté d’expression et de débat

Si Chrysalide n’existe plus aujourd’hui, le vieux ciné-club de Mascara, comme beaucoup d’autres qui naissent un peu partout, continue d’être un espace ouvert sur le cinéma et le monde des possibles où imaginer et rêver est encore permis. Leurs missions : réhabiliter les salles de cinéma abandonnées en s’y installant, rendre visible les films algériens auprès des Algériens et créer un espace de liberté d’expression et de débat.

Le piratage, un acte positif encouragé par les cinéastes algériens en Algérie ?

En Algérie, le piratage joue un rôle important pour la diffusion des films auprès des Algériens. Dans une interview donnée par Juliette Reitzer à l’occasion de la sortie du film Les Bienheureux, la cinéaste Sofia Djama, qui, adolescente, ne pouvait avoir accès qu’à des films en VHS piratée, affirme être gênée lorsqu’elle voit à quel point la question des droits d’auteur, notamment en France, fait l’objet d’un combat intransigeant.

quand on parle de nos pays où il n’y a plus de salles de cinéma, le piratage est un enjeu (Sofia Djama, cinéaste algérienne)

Sofia djama y souscrit aujourd’hui parce que, selon elle, « quand tu deviens membre de la SACD [Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques] et que tu vois toutes les protections que tu as autour de toi parce que tu es un auteur, c’est formidable. » Toutefois, la cinéaste algérienne ajoute que la réalité, en Algérie, est toute autre. Car « quand on parle de nos pays où il n’y a plus de salles de cinéma, le piratage est un enjeu. » Elle espère d’ailleurs que son film sera largement piraté en Algérie.

[BANDE ANNONCE DU FILM DE SOFIA DJAMA, Les Bienheureux]

Un système de production défaillant

Comment marche le système de production algérien ? D’après la cinéaste Sofia Djama, il existe en théorie un système, mais il est difficile d’accès. Il suffit en effet d’aller sur le site du Centre Algérien du Cinéma, l’équivalent algérien du CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée] pour comprendre à quel point il est chaotique. Les commissions, par exemple, ne sont pas datées et il est impossible de savoir le montant du budget annuel alloué au cinéma. Avec des réalisateurs et des producteurs de sa génération, Sofia Djama « réfléchit à des moyens de forcer le gouvernement à imposer aux chaînes de télé et aux opérateurs de téléphonie une taxe pour financer la culture et le cinéma. »

Une forme d’autocensure

Selon la réalisatrice du film Les Bienheureux, il existe également une forme d’autocensure dans le microcosme cinématographique algérien. Quand Sofia Djama a écrit son court-métrage Mollement, un samedi matin, sa productrice algérienne a par exemple refusé de déposer le dossier : « elle avait peur du sujet, elle ne voulait pas figurer au générique », raconte-t-elle. La cinéaste est alors montée à Paris au culot pour rencontrer un producteur enthousiasmé par son travail, si bien que six mois plus tard, elle obtenait la contribution financière du CNC, d’Arte et de l’ambassade de France en Algérie. « Mais l’ironie, c’est qu’au final, quand le film a été primé à Clermont-Ferrand, qui me décerne le prix ? Le ministère de la Culture à Alger ! ». Comme le film a eu une visibilité internationale, Sofia Djama est devenue, pour le gouvernement algérien, un alibi de démocratie, le symbole d’une jeunesse algérienne libre de s’exprimer -à condition que le ton utilisé face écho à celui du gouvernement-. Selon la cinéaste, « ce jeu de dupes arrange un peu tout le monde, et c’est triste. »

Le changement, c’est maintenant ?

Avec Abdelaziz Bouteflika au pouvoir depuis 1999, le changement ne semble pas être encore pour maintenant, en Algérie, et on pourrait alors se demander quelles sont les ambitions politiques des films récemment réalisés par les cinéastes algériens. Dans une interview donnée par Joséphine Leroy à l’occasion de la sortie d’En attendant les hirondelles, Karim Moussaoui, réalisateur du film, affirme qu’ « [il] ne [s’]adresse pas aux hommes qui sont au pouvoir » car il pense qu’ « ils sont ailleurs, dans un monde que nous autres, citoyens, ne comprenons plus ». Il ajoute alors que « ce sont les gens qui portent et transforment le système, pas l’inverse » et qu’il croit profondément à une « révolution des individus ».

ce jeu de dupes arrange un peu tout le monde, et c’est triste. (Sofia Djama, cinéaste)

Ainsi, grâce à des cinéastes comme Hassen Ferhani, Tariq Teguia ou Sofia Djama, le cinéma algérien contemporain semble faire corps en un même mouvement dynamique. Cependant, pour le cinéaste Karim Moussaoui, ce mouvement n’a rien à voir avec la Nouvelle Vague « dont les membres partageaient un certain nombre de positions politiques, claires, et les combats qui en découlaient. » Aujourd’hui encore, tous les moyens et les mécanismes qui permettent au cinéma algérien d’exister ne sont pas réunis en Algérie, que ce soit en matière de techniciens, de distribution ou de formation.

[BANDE ANNONCE DU FILM DE KARIM MOUSSAOUI, En attendant les hirondelles]

Léonor Borella

 

Sources :