Ne vous êtes-vous jamais demandé comment se passait le premier festival de cinéma mondial ? Non pas les films, mais la vie du festival, l’expérience cannoise, c’est comment? Voit-on des stars? Va-t-on dans des soirées privées? Est-ce que c’est comme aller au UGC habituel? Connaissant vos questionnements, votre serviteur s’est dévoué et s’est résolu à quitter son stage de rêve, pour aller enquêter sur le terrain.
Cannes c’est d’abord des séances de cinéma. Des séances dans quinze lieux qui quadrillent la ville et qui sont fort mal indiqués. Cannes c’est donc d’abord un labyrinthe sans fil d’Ariane. On se perd, on se retrouve dans un espace journaliste, on se renseigne, on s’égare à nouveau, on demande son chemin à des américains… Cannes, c’est la recherche de la salle 101 du CELSA en début d’année. Chaque salle a sa caractéristique: le prestige du Grand Théâtre Lumière, le confort du Cineum ou le côté art et essai du Licorne. Mais toutes ont en commun la même passion du cinéma…
… et une signalétique éclatée.
Devant la salle promise se dresse la file d’attente qui dessine la typologie des festivaliers. Il y a Terence, 35 ans, une chemise sur le dos et une fine monture sur le nez. Terence doesn’t speak french. Not even bonjour or pardon. Oh no! He speaks loudly and complains about the subtitles. Behind him there is Chun who comes from Beijing. Elle ne parle pas ( oui je vous épargne mon mandarin, de rien) et attend. Elle se fait oublier et se fait doubler par Yves. Yves vient au Festival depuis plus de 40 ans. Il a vu Delon, montre avec fierté son autographe de Clooney mais dissimule celui de Depardieu. Il se vante d’avoir connu le Grand Cannes qui n’était pas pollué par les influenceurs. Il passe de conversation en conversation, il attire l’attention de tous: all eyes on him.Mais derrière ce qui s’apparente à une quête de l’ego, se dissimule un enjeu autre: être à la pointe de la file d‘attente.
Car c’est bien beau d’être accrédité pour Cannes, d’avoir eu une place pour le film rêvé, mais s’il faut découvrir le film tout devant, à l’extrême-droite de la salle, c’est dommage. Surtout qu’Yves ne compte pas occuper une simple place mais en réserve trois, quatre, parfois sept pour les copains. On a parfois l’impression d’être dans le grand amphi. Cannes, c’est un lieu de découvertes très utiles. La plupart des entreprises travaillent un jour de solidarité avec les personnes âgées mais rassurez-vous, elles vont très bien : des grands sprints pour réserver cinq places, la France a de grandes chances de médaille aux JOP.
La séance commence, le silence se fait mais il est bien fragile car on sent l’émotion, l’excitation de faire partie de quelque chose de grand. L’animation d’avant-film se conclut par des applaudissements, et des cris de joie. Pendant la séance, chaque émotion est décuplée: on rit fort, on soupire de soulagement, on grimace de dégoût. Un surjeu permanent, à l’image de la dernière vidéo de Squeezie. Si le film ne nous plaît pas, on sort en pleine séance. Il ne faut pas y voir un dédain pour le septième art mais la conséquence logique d’un emploi du temps surchargé. En effet, un festivalier va voir trois, quatre, parfois même cinq films par jour. Le temps passé et la fatigue accumulée produisent une perception exacerbée de tout film. La séance finie, on court vers notre prochaine séance, un sandwich dans le ventre et ça recommence. Cannes, c’est un marathon que l’on vit comme un sprint.
Mais s’il s’agit juste de voir des films, pourquoi est-ce que le festival est-il aussi connu? Je le sais, vous le savez, nous le sachons : Cannes, c’est les stars. Une fois qu’on a posé ce constat, une myriade de questions apparaissent : les voit-on vraiment ? De quelle manière ? Sont-elles accessibles ? Pour bien répondre, il faut opérer une distinction entre les festivaliers «séance» et les festivaliers «stars». Certains ne vont à Cannes que dans l’espoir d’une photo, d’un autographe, d’une anecdote. Ils attendent des heures devant les conférences de presse, sont en première ligne derrière le tapis rouge ou près des hôtels luxueux.
Car si on veut voir des stars, à Cannes, on en voit. Mais si on ne cherche pas vraiment à en voir…on en voit aussi. Où ? On les voit sur le tapis rouge, on les devine dans les BMW teintées qui parcourent la ville, on les imagine sur les yachts qui peuplent la baie cannoise. Et soudain, au détour d’une rue, dans un café isolé, on en voit une. On est décontenancé, surpris, rien de tout ça ne paraît réel. On s’approche, craintif, demandant un autographe, une photo, on bredouille un compliment sur tel ou tel film. Puis on repart, miraculé, on prêche la beauté de Cannes, la proximité avec les stars, on enjolive la rencontre. Et c’est cet épiphénomène, source d’irréalité qui crée le mythe cannois.
Cannes, c’est l’Olympe qui s’abaisse aux mortels. Et la présence de ces stars, quasi-divines, engendre un certain nombre de comportements. Près du palais des festivals, se trouve une troupe de quémandeurs à la mine désespérée, qui agitent des pancartes. Ils cherchent une invitation aux séances de gala : les premières des films en compétition. Tous espèrent briller sur le tapis rouge, côtoyer des célébrités, recevoir par ruissellement la gloire et la reconnaissance. C’est pour cela que les séances au Grand Théâtre Lumière sont un peu spéciales. On y crie notre amour aux stars, le surjeu des séances est démultiplié avec à la clé un standing ovation. Toujours. Même si la qualité du film le place en droite lignée d’un film du Clavier Cinematic Universe. Et le pire c’est qu’on participe à cette vaste mascarade, on applaudit mollement parce qu’on n’est pas convaincu mais qu’on a Justine Triet en ligne de mire et que ça nous impressionne malgré nous. On sort de cette dernière séance, et on va dormir, éreinté, après avoir annulé notre séance du lendemain, neuf heures.
Ce cocktail de films, de stars, et de cadre idyllique forment un mode de vie particulièrement…particulier. Cannes c’est épuisant. On se couche tard, on se lève assez tôt pour faire rentrer un maximum de films dans notre journée. On annule presque toujours notre séance du matin tellement on est crevé de la veille, on se lève difficilement et on se couche avec plaisir. Résultat : au bout de quelques jours, on s’endort devant les films. Ou on part, si les sièges sont trop inconfortables. Pour garder la face, on dit que c’était moyen, que la sélection de l’année n’était vraiment pas terrible, ou que certains réalisateurs âgés feraient bien de prendre leur retraite. On sort d’un film, on court pour voir le prochain et on attend.
Cannes c’est beaucoup d’attente. On s’ennuie. On scroll, on lit ou on parle aux gens. Cannes, ce sont des rencontres, des gens qui nous tendent la main, à un moment où on ne s’y attend pas, où on est seul chez soi. Ces rencontres contribuent à l’expérience cannoise, lieu de rencontre entre les cinéphiles du monde entier. Spéciale dédicace à Patricia qui gère un cinéma près d’Aix-En-Provence, à Diego qui est en fac de cinéma à Marseille ou à cet Allemand dont je n’ai pas compris le nom bien que je me sois vanté d’un bon niveau dans sa langue.
Cannes c’est sillonner la ville sans jamais la visiter puisqu’on passe la journée dans des cinémas. C’est vivre aux dépens des bus dont la régularité flirte parfois avec la ligne 3 de métro parisienne. C’est se retrouver à la merci de chauffeurs qui prennent des airs de Dominique Toretto. C’est passer ses trajets à rattraper des américaines ( c’est fou comment ces gens là n’ont pas d’équilibre. Ah c’est sûr : dès qu’il n’y pas de bombe et de soviétiques en face, la notion d’équilibre est complètement absente). Cannes c’est des soirées endiablées où la fatigue s’estompe, où on côtoie les grands dans des endroits de rêve.
Cannes c’est une parenthèse enchantée, pour laquelle on troque notre sommeil contre le soleil de la méditerranée. C’est un post Instagram de prestige qu’on pense pendant trois jours. C’est un week-end toujours enjolivé, peut-être le souvenir d’une vie entre un front de mer hideux, une vieille ville sublime, le tout cerné par le scintillement du turquoise. C’est le meilleur festival du monde, l’endroit où la terre touche le ciel, où les dieux deviennent mortels et où les mortels goûtent au nectar et à l’ambroisie.
Si vous en avez l’occasion, allez à Cannes, vous vous en souviendrez longtemps.