“Games of Thrones” : un succès aussi surprenant que planétaire

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          Nouveau fleuron de la chaîne américaine HBO, Games of Thrones est une série télévisée magistrale adaptée de l’épopée fantasy de l’Américain George R.R. Martin, qui plonge le spectateur dans un univers particulier, inspiré du haut Moyen-Age. Elle a été créée par David Benioff et D.B Weiss, réalisée notamment par Alan Taylor.

L’intrigue se déroule à une période charnière, puisqu’une religion en remplace une autre et que les valeurs de la chevalerie sont en péril (sans oublier la menace “winter is coming“). Dans le monde de Game of Thrones, le continent de Westeros est divisé en sept royaumes distincts. Mais la plupart des personnages aspire (plus ou moins secrètement) au trône suprême, le “Trône de Fer”, qui régit tous les royaumes. Ce monde est protégé au Nord par un mur de glace (inspiré du mur d’Hadrien, une fortification du nord de l’Angleterre), surveillé par la Garde de Nuit.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette série n’est pas passée inaperçue. On peut même parler d’un buzz planétaire. Ainsi Games of Thrones a été en 2011 comme en 2012 la série la plus piratée du monde, selon le site américain TorrentFreak (avec en moyenne 5.2 millions de téléchargements par épisode).

          Et pourtant, un tel buzz était inattendu. Même si on est un fan inconditionnel de la série, on doit admettre que son intrigue n’a rien de révolutionnaire. Au contraire, elle emprunte au genre de cape et d’épée et son ambition à être une vaste fresque fantastique n’est pas sans rappeler les livres de Tolkien ou Les Rois Maudits de Maurice Druon. D’ailleurs, le genre de la medieval fantasy vise habituellement un public dit “de niche”, ce qui n’a pas été le cas ici. De plus, GoT ne pouvait viser un public familial, étant donné la multitude son goût pour la luxure ou le gore. Or la série a réuni une audience très large.

Enfin, il n’y a pas de personnage principal qui créerait un lien entre les épisodes (à l’instar d’autres séries telles que Dr House, Mentalist ou House of Cards par exemple), ce qui bouscule le schéma traditionnel des séries télé. Certes, d’autres sont fondées sur un ensemble de plusieurs personnages (Desperate Housewives, pour n’en citer qu’une), mais aucune n’en cumule autant ni ne mêle tant d’intrigues à la fois. Dans Game of Thrones, vous n’avez pas le temps de souffler : après dix minutes passées aux côtés de Daenerys Targaryen, vous voilà plongé dans le quotidien enneigé de Jon Snow, veilleur dans la Garde de Nuit, avant de vous retrouver pris entre les manigances des Lannister à Port-Réal.

Ainsi, comment la série a-t-elle pu engendrer un phénomène de cette amplitude ? Tentons désormais d’analyser les raisons de ce buzz planétaire.

Tout d’abord, il faut souligner l’importance qu’a joué la communauté de fans (un fandom, aux Etats-Unis). Les livres de Martin ont connu un succès retentissant et ce à l’échelle mondiale : plus de vingt millions d’exemplaires ont été vendus, ce qui a engendré la création d’un groupe de fans considérable. Des sites sont ainsi entièrement dédiés à Westeros, voire même aux recettes des plats décrits dans les livres -tenterez-vous la “Sansa Salad” ? (1).

Mais soyons réalistes, le bouche-à-oreille des fans, s’il a pu jouer un rôle dans la passion GoT, ne peut cependant tout expliquer. N’omettons pas de mentionner le budget alloué par HBO, qui fut colossal : on évoque ainsi des chiffres à hauteur de 50 millions de dollar par saison. La chaîne (HBO) ne communique pas de chiffres officiels, mais des journalistes américains ont estimé qu’un épisode coûterait, en moyenne, six millions de dollars. La chaîne a l’ambition de faire de chaque épisode un mini film donc les décors sont tournés en extérieur, du Maroc à l’Islande. Ainsi le tournage d’un épisode de Game of Thrones dure une vingtaine de jours, contre dix en moyenne pour les autres feuilletons télévisés.

Il faut aussi mettre en valeur la campagne de communication transmédia : la com’ de GoT a été très bien menée. Les réseaux sociaux ont été au coeur de la stratégie. Un compte officiel a été créé sur Vine, tandis que la page officielle Facebook cumule sept millions de fans et que la page Twitter a plus de 900 000 followers ; ces deux pages entretenant la flamme (et le suspense) régulièrement. La campagne a également usé de la “social TV”. De nombreux teasers sont mis en ligne actuellement, d’ailleurs vous avez peut-être vu les mini-trailers et autres clips sur Vine (2).

Cependant, n’attribuons pas tout le succès de Game of Thrones à sa seule communication (certes particulièrement réussie) ; si certains lui reprocheront sa débauche ou le jeu de ses acteurs, tous devront reconnaître qu’elle a créé un univers. La saga s’est créée une identité, forgée par la précision de ses scénaristes (costumes, décors naturels). Cet univers est complexe : les personnages (“classés” en plusieurs maisons) et les intrigues se multiplient ; les alliances se font et se défont aussi vite que les têtes tombent. Ainsi que ce soit pour l’action, le sexe, les histoires d’amour contrariées, le fantastique… chacun y trouve son compte. Pour les plus passionnés, il est possible de faire des recherches pendant des heures sur le monde de la série et du livre.

GoT a ainsi évité l’écueil du manichéisme en rendant ses personnages complexes et surprenants (pensons par exemple à Jaime Lannister qu’on prenait pour un fumier fini, jusqu’à ce qu’il révèle presque généreux envers Brienne). Game of Thrones challenge son spectateur : la série étant très crue, sexuelle et violente, elle crée le débat et fait jaser à son propos. De plus le rythme et le timing sont indéniablement excellents. Les scénaristes ont choisi d’entremêler toutes les intrigues (au contraire des livres qui se concentraient sur certains personnages). Mais pour cela, ils ont dû multiplier les rebondissements et risquent de souffrir du nombre grandissant d’intrigues au fil des volumes.

L’addiction pour Game of Thrones met en lumière ce qui semble être de nouveaux fondamentaux des séries télévisées comme l’ambiguïté des antihéros ou l’incertitude des “happy end“. Une étude, réalisée par le site américain Funeralwise, montre ainsi qu’en moyenne treize personnages meurent par épisode ! N’importe quel personnage, y compris un premier rôle, peut mourir subitement (pardonnez-moi de raviver ainsi la plaie causée par le fameux épisode 9 de la saison 3). Un palier a donc été franchi.

Enfin, l’univers a beau être fantastique, les enjeux que soulèvent la série sont universels : on y trouve des conflits Nord/Sud, des problèmes de frontières, de choc de civilisations, de villes fortifiées (on fait aisément le parallèle avec les gated communities)… ça ne vous évoque rien d’actuel ? Ces enjeux hantent d’autres séries post-11 Septembre , comme dans The Walking Dead par exemple ; dans les deux séries, on retrouve une “mythologie des pionniers”.

          Ainsi la richesse et la complexité du phénomène Game of Thrones, tout en s’inscrivant dans une dynamique actuelle des séries télévisées, soulignent autant l’importance de la communication (qui fait la jonction entre la télévision, média historique, et le Web 2.0) que l’effacement des frontières entre grand et petit écran, mouvement amorcé depuis que des cinéastes tels que Martin Scorsese, David Fincher ou Jane Campion ont réalisé des séries.



Lucie Detrain



(1) http://www.innatthecrossroads.com/2011/09/30/cookbook-of-ice-and-fire/

(2) http://www.mcm.fr/game-of-thrones-saison-4-une-video-teaser-devoilee-a236301.html

How I met your mother saison 9, ou la triste agonie d’un groupe de trentenaires>>

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