Folle folie

Raymond Depardon vient s’installer encore une fois au cœur de la machine psychiatrique. Après San Clemente en 1982 puis Urgences en 1987, le réalisateur photographe filme une troisième fois la folie. Il introduit d’ailleurs très vite le propos en citant Michel Foucault « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou ». Il ne considère donc certainement pas la folie comme une maladie mais plutôt comme un état par lequel passe tout être humain pour se construire.

Dans ce documentaire, Raymond Depardon nous présente des personnes internées sous contrainte dont les troubles vont du simple burn out à l’acte criminel. Pourtant, tous ces patients ont un regard touchant et lucide sur leur situation immédiate : ils ne sortiront pas. La question soulevée par le documentaire réside dans le système. Ce système psychiatrique qui consiste à enfermer des personnes considérées comme ayant des troubles psychiatriques dans un hôpital et de les soigner contre leur gré. Comment légalement ce système tient-il debout ? Tout simplement avec des lois. Le cadre légal constitue justement l’amorce du documentaire. Mais plus précisément une loi de 2013 qui oblige les patients internés sous contrainte à passer devant un juge des libertés et de la détention qui doit donner son accord pour toute hospitalisation sous contrainte au-delà de douze jours. Par ailleurs, le patient est assisté d’un avocat censé examiner le bien-fondé de son hospitalisation et la nécessité de sa prolongation. Depardon vient ici montrer qu’à l’immuabilité de la loi répond l’immuabilité de ce qu’elle produit : la situation reste inchangée.

Un combat perdu d’avance

Les personnes que nous rencontrons au fil des entretiens sont seules devant un mur. Elles font face à deux puissantes institutions : le corps médical et le système judiciaire. Face à cela, les patients n’ont aucune carte en main et sont inévitablement les plus faibles. Ils ne peuvent rétorquer, ne peuvent discuter la décision. Certains ont d’ailleurs bien compris « Ça sert à rien que je fasse appel, je ne gagnerai pas ».

Le combat est donc difficile voire insurmontable, pour des gens qui sont déjà affaiblis par leur maladie, et par le regard d’autrui. « J’ai la folie d’un être humain » crie un jeune homme. La mise en scène désigne d’ailleurs très bien cette infériorité, mettant face à face un juge, ayant une double autorité, celle du droit et celle de la médecine, face à un patient diagnostiqué malade assisté d’un avocat qui ne connaît pas les détails du dossier de son client et qu’il vient de rencontrer.

 Un décor, un double silence 

Depardon entre sur la pointe des pieds et sillonne les longs couloirs vides et polis. Il est invisible et silencieux. Il s’immisce au cœur de cet hôpital et au cœur de son quotidien, à l’écoute de l’autre et surtout de sa souffrance. Il n’énonce aucun jugement, la manière de filmer est très humble comme à son habitude. Il montre simplement ce qu’il a vu. Il prend acte de la rigidification du processus institutionnel qui finalement produit autre chose que ce qu’il visait.

Le photographe vient aussi souligner avec ses séquences « décor » que le silence réside également dans la place qu’occupe la psychiatrie dans la société. Cet hôpital perdu au milieu de nulle part, éloigné du centre, entouré de grilles et de caméras de surveillance témoigne de cette absurde considération. La couleur joue d’ailleurs un rôle de catalyseur dans ce sens. Le beige des murs, du sol, des habits des malades, la couleur grise du mauvais temps, autant de couleurs moroses qui amplifient la dimension lugubre du lieu.

La musique, quant à elle, rehausse le ton et appuie le propos, la dramaturgie en ressort plus poignante. Alexandre Desplat, merci.

Une psychopathologie française

Souffrance au travail, intégration difficile, violences faites aux femmes, terrorisme, autant de drames qui s’entrechoquent dans cette pièce et qui renvoient fatalement à la société française d’aujourd’hui.

Les troubles psychiatriques des personnes que l’on rencontre tout au long du documentaire sont de douloureux reflets des maux de la société. Cette détresse contemporaine nous renvoie donc à notre condition d’individu. Sommes-nous donc tous fous ? Une chose est certaine, l’humanité cabossée de ces personnes résidant à l’hôpital du Vinatier de Lyon reflète certainement notre état d’inhumanité : « J’aime pas sortir dans la rue car les gens me portent un regard sévère ».

Le documentaire se clôt sur une séquence dans le brouillard. Belle métaphore de la folie et des troubles psychiatriques mais aussi de la justice face à ce genre de problème. Nous avançons à l’aveugle.

 

Pauline Tastet