Un peu de Justice dans ce monde de brutes

Crédit photo © Konbini

Un retour fracassant. Après le succès de son dernier film « Snow Therapy », le réalisateur suédois Ruben Östlund réalise un tour de force avec son nouveau long métrage et remporte la Palme d’Or du 70ème Festival de Cannes. Rien que ça. Pourtant, ce film a déchaîné la critique et a divisé le monde du cinéma sur le tapis rouge, en mai dernier. Peu importe, ce film, « The Square », est un petit bijou parfaitement orchestré avec une bande originale digne de ce nom. C’est un beau duo.

À travers un regard acide sur la société actuelle, Ruben Östlund met le spectateur face à ses propres contradictions et l’interroge sur sa propre lâcheté en le confrontant à un monde superficiel et bourgeois. Ce genre de monde dans lequel Christian, conservateur d’un musée d’art contemporain suédois, vit. Ce dernier prépare sa prochaine exposition, la fameuse « The Square », « un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. Dedans, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs.»

Cependant, parallèlement au lancement du plan de communication de cette exposition, Christian se fait voler son portefeuille et son téléphone. Au lieu de laisser tomber, il décide de retrouver son voleur et entre alors dans une frénésie incontrôlable qui révélera ensuite son égoïsme et son hypocrisie.

Plusieurs histoires s’entremêlent mais aussi plusieurs dénonciations. Ruben Östlund ne se contente pas de critiquer le monde de l’art contemporain et son absurdité. Il se préoccupe également des différences sociales entre les classes, de l’individualisme que nous impose la société, et de la situation des mendiants et des réfugiés. Cette dernière critique trouve une certaine résonnance en Suède où la mendicité était encore absente, il y a peu. Le réalisateur pointe du doigt les tares de notre société, nous les expose et nous oblige à les regarder pendant de longues minutes.

Ce film est une tragicomédie. Les scènes gênantes où on rit nerveusement sont très nombreuses. Elles permettent à Ruben Östlund d’allonger le film et de le rendre malaisant. La scène la plus magistrale est celle autour du préservatif (je n’en dis pas plus) !

Pourquoi s’intéresser alors à la bande originale de ce film ?

Elle joue, en réalité, un rôle clé. La musique fait partie intégrante du long métrage et elle va de pair avec le déroulement de l’histoire. Elle est le tapis rouge qui dévoile quelques secondes à l’avance la tournure que prendra la situation. Mais bien évidemment, le spectateur ne s’en rend pas compte. La bande originale choisit par Ruben Östlund renforce tous ses souhaits de dénonciation, il l’utilise en amplificateur.

En choisissant, une première musique un tantinet absurde, il rehausse alors la critique sur l’art contemporain et permet au spectateur de se sentir encore plus désarmé face à toute cette absurdité. Cette chanson a capella composée par le vocaliste américain Bobby McFerrin, rend l’image encore plus cocasse notamment à cause de l’incompréhension des paroles. Par ailleurs, ce chanteur, fan de vocalises et d’impro, nous transporte vers un endroit irréel et abstrait qui confronte le spectateur à sa propre réflexion sur l’art contemporain et sur l’impassibilité et l’individualisme de l’espèce humaine.

Bobby McFerrin - Improvisació 1 (The Square - Original Motion Picture Soundtrack)

Enfin, la deuxième musique (choisie parmi bien d’autres), que l’on se doit de souligner si l’on parle de « The Square », est celle du groupe électro français Justice, qui revient à plusieurs reprises dans le film. La mélodie, dans ce cas là, est mortuaire voire même violente si on l’analyse couplée aux images. Cela n’est pas étonnant lorsqu’on sait que la boucle du morceau est une référence à la partie instrumentale de « Thriller » de Michael Jackson.

C’est pourquoi cette « horreur » permet facilement au réalisateur de dénoncer les sujets, qui lui tiennent à cœur, de manière plus poignante. La musique décuple la violence des images et sa répétition montre bien l’omniprésence des laissés-pour-compte dans nos sociétés ainsi que la violence physique et mentale qu’ils subissent.

Justice - Genesis - †

Tout cela nous prouve bien que l’homme descend du singe et que sa sauvagerie n’est jamais bien loin.

 

Auteur : Pauline Tastet