Exposition Charlie Chaplin : l’homme orchestre.

Chapeau, canne et moustache incarnent l’emblème du cinéma burlesque : Charlie Chaplin. L’icône du cinéma muet, connu pour être à la fois réalisateur et acteur de ses films. Cependant, l’exposition de la Philharmonie de Paris, sanctuaire de la musique, met en lumière les talents de compositeur et de musicien de Chaplin lui-même, du 11 octobre 2019 au 26 janvier 2020. Une exposition interactive qui permet ainsi aux petits comme aux grands de redécouvrir l’emblème du cinéma burlesque sous une lumière musicale.

Même si Chaplin est le précurseur du cinéma muet, soit un cinéma qui semble en premier lieu être le cinéma du silence, il entretient également un rapport étroit au son, qu’il crée ou utilise de manière intelligente et savante dans ses oeuvres. Le cinéma muet en effet n’a jamais été véritablement muet, puisque les salles de cinéma étaient dès le commencement accompagnées par des pianistes ou des musiciens. Et surtout, Chaplin est avant tout un musicien dans l’âme : il a appris le violon et le piano en autodidacte dès son plus jeune âge, alors que ses parents étaient chanteurs de music hall. L’exposition permet ainsi de retracer le parcours musical de Chaplin : de ses partitions, déposées derrières de grandes vitres en verres à ses oeuvres cinématographiques qui résonnent aux quatre coins de l’exposition.

Sans oublier que Chaplin débute sa carrière en tant que danseur de claquettes : musique, son et rythme sont dès le commencement au coeur de son imaginaire. Car, le corps burlesque est en effet un corps rythmé et dansant, un corps chantant et vivant. Tout s’exprime à travers un corps qui s’impose dans l’image et communique avec intensité toute la puissance du cinéma au spectateur. Le cinéma est en effet avant tout du corps, et cela, Chaplin l’avait compris. Pour croire à l’image, le spectateur doit ressentir le corps du comédien. Et, ainsi, l’entendre dans chacun de ses mouvements.

Au-delà du burlesque des corps et des visages, le son joue un rôle de plus en plus pregnant dans ses oeuvres. Il ne semble jamais présent ou travaillé par hasard, comme en témoigne l’exposition. Même après l’invasion du cinéma parlant, à partir de 1927, avec Le Chanteur de jazz qui ouvre au cinéma un chant infini de nouvelles possibilités, Chaplin se refuse à intégrer des paroles et des dialogues. Il déclare ainsi dans le Revue pour vous, en 1929: “le dialogue est aussi peu nécessaire aux films que les paroles aux symphonies de Beethoven”. A ses yeux, le spectateur doit se concentrer sur les images qui parlent d’elles-mêmes et non sur des dialogues.

Lorsque Chaplin chante pour la première fois dans Les temps modernes, laisse entendre sa voix aux spectateurs, ce qu’il chante n’a aucun sens, puisqu’il s’agit d’un mélange savant de plusieurs langues : il rit ainsi de l’omniprésence du son et des paroles au cinéma, qui finissent par ne plus faire sens tant elles sont utilisées. Ainsi, cette “nonsense song” ou charabia est finalement un “manifeste pour la défense du muet”, expression de Michel Chion. Il affirme ainsi au monde que malgré l’arrivée du cinéma parlant, il continuera à faire parler les images et son personnage par cette mélodie corporelle intemporelle du muet. En effet, le muet a une dimension universelle, tout comme le chant à ses yeux. Il n’y a pas besoin de traduction. Pour lui, les “émotions extrêmes de l’âme sont muettes, animales, grotesques ou d’une indicible beauté”. Chaplin perpétue ainsi son apologie de la “beauté du silence”, faisant la grandeur et l’originalité de son art.

Cependant, lorsque Chaplin laisse les mots et les dialogues s’inviter dans ses oeuvres, ceux-ci sont chargés d’un certain poids et d’une certaine symbolique tant ils sont rares. Ainsi, le monde entend pour la première fois de façon honnête, poignante et transparente la voix de Chaplin dans le Dictateur. Il déclare ainsi, avec intensité et puissance dans le plus long monologue de l’histoire du cinéma : “on pense trop et on ressent trop peu. Plus que de machines, on a besoin d’humanité. Plus que d’intelligence, on a besoin de gentillesse et de douceur. Sans ces qualités, la vie perd son sens.” Il s’agit alors de ressentir l’image, de ressentir la danse du corps burlesque : un corps qui s’exprime sous le flot de l’orchestre de Charlot. Il recherche finalement une expression sonore, plus que des sons et des dialogues dénués d’expressions, d’intentions et de raisons.

S’il renonce finalement à la beauté du silence et cède au parlant à la fin de sa carrière, symbolisée par la disparition du personnage du vagabond de ses oeuvres, Chaplin demeure l’icône du cinéma muet : un cinéma muet paradoxalement musical et chantant.

Lucile Castanier. 

Sources : https://philharmoniedeparis.fr/fr/exposition-charlie-chaplin-homme-orchestre

Photography copyright : Lucile Castanier