Baise moi : une obscénité libératrice ?

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Ma chatte, j’peux pas empêcher les connards d’y rentrer alors j’y ai rien laissé de précieux». C’est ce que déclare Manu après son viol. Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (adapté du livre du même nom) raconte l’histoire de deux femmes – Nadine et Manu – qui enchaînent meurtres, prises de drogue et orgies. Quelques jours après sa sortie, Baise-moi est classé X. Cependant, il serait réducteur d’en faire un simple film porno. En effet, il travaille des questions importantes de cinéma et de genre. Ces questions passent par une attention portée au corps des actrices : violence, obscénité et fragmentation sont au cœur de l’esthétique du film. 

En effet, dès le début du film, Manu et une amie à elle, Karla, sont violées par trois hommes dans un hangar. La scène est assez longue et d’une violence extrême. On assiste à deux viols, assez différents l’un de l’autre. On se concentre d’abord sur le viol de Karla qui hurle et se débat. Le montage abrupt et les gros plans expriment la violence faite au corps. Les gros plans montrent à la fois le visage en sang de Karla et la pénétration forcée de son violeur. La scène se focalise ensuite sur Manu, qui reste par terre, inerte et bouge à peine. La caméra filme d’abord en gros plan son visage puis enchaîne les différentes échelles de plan pour filmer le reste de son viol. Le montage et la fragmentation du corps viennent dire deux types de violence. Le viol est d’abord une violence d’un corps à un autre (les gros plans sur les parties génitales) mais c’est aussi la violence qu’impose un sujet à une autre (gros plans sur les visages des victimes). La crudité de la scène exprime en quelque sorte la réalité d’une telle agression. On peut noter que Virginie Despentes s’est en partie inspirée de son propre viol pour écrire et réaliser cette scène. D’un point de vue plus narratif, c’est à partir de ce moment que Manu se libère de toute emprise masculine et sociale par l’hyperviolence.

Le film met alors en scène un corps qui se libère de tout. Le spectateur est confronté à un corps qui vit, qui désire et qui saigne. En effet, au milieu du film, Despentes filme en gros plan le sexe et le sang menstruel de Manu. Tous les tabous liés au corps féminin sont dépassés. Et c’est aussi en cela que le film déroge au cinéma pornographique. Il met en scène des rapports sexuels non simulés, et montre des gros plans sur les parties génitales des personnages : comme dans le cinéma porno, le corps est fragmenté. Cependant, comme le précise Coralie Trinh Thi, la coréalisatrice, le « porno est un film de genre à vocation masturbatoire » : l’objectif de Baise-moi n’est pas d’exciter. Il faut donc bien faire la différence entre la pornographie et l’obscénité. Le film est obscène et repousse sans cesse la limite de la représentation (meurtre sanglant et scènes crues). Mais ce qui est intéressant est son usage. L’obscène exprime ici la prise de pouvoir par la violence de corps malmenés et la domination des femmes sur leurs anciens bourreaux. On peut même voir dans le pistolet, l’objet du pouvoir phallique qui se retourne contre les hommes. 

Meurtre, sang, sexe, drogue : tout le film est construit dans une violence générale. Les scènes de meurtres et de sexes sont banalisées : on peut citer le critique Jean-François Rauger qui qualifie ainsi Baise-moi de « révolution copernicienne dans l’expression cinématographique dès lors que les scènes ouvertement érotiques sont traitées à égalité avec les autres» (« Virginie Despentes, ses acteurs et ses hardeurs », Le Monde). Cependant, c’est bien ce qui peut heurter le spectateur, puisque la distinction entre meurtre et sexe disparaît au fur et à mesure : le plaisir de tuer est semblable au plaisir sexuel et beaucoup de scènes sont construites sur la succession entre sexe et tuerie. 

Ainsi, Baise-moi repousse sans cesse les limites de la représentation et confronte le spectateur à ce qui n’est pas habituellement montré. Le regard est alors submergé par l’image et sa crudité. Mais le film est bien plus que ça puisqu’il donne à penser les tabous du cinéma et du corps : sa représentation, le sexe, l’obscène, et la domination masculine sur le corps féminin.  

Fanny Villaudière.

 

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