Au delà des montagnes de Jia Zhangke : « Ma Palme à moi »

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(pas de spoils dans l’article)

Petite anecdote : Un dimanche après-midi pluvieux avec mon père on se co-motive à aller voir ce superbe film chinois dont ma cousine, « notre référence culturelle familiale », nous a vanté les merveilles. On arrive au Balzac, merveilleux petit cinéma qui essaie de jouer des coudes avec les deux Gaumont et deux UGC cinémas concurrents des Champs-Elysées et on est étonné par la foule déjà au garde à vous. Moyenne d’âge : 65 ans et 8 mois. Une chose est sûre, la politesse ne va pas forcément de pair avec l’augmentation des années, et les files d’attente de Stars Wars n’ont rien à envier à ce tumulte auquel nous avons du faire face. Enfin assis,  Jean Mineur apparaît sur l’écran, petit rire narquois, « bon le fameux Balzac n’est pas un cinéma résistant-indépendant mais bien un sous-fifre de Gaumont, le coquin »… puis le film commence…

Et 2h après je réalise que mon tigre et dragon indétrônable a du soucis à se faire dans le top 3 de mes films asiatiques préférés.

Les amitiés homme-femme adolescentes qui se complexifient avec l’âge, l’évolution des mines de charbon qui laissent la place au pétrole et qui forcent les migrations.

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      « Allez Paris-Saint Germain, Allez Paris-Germain , PSG ton nom nous unit, PSG ici c’est Paris!1 » si vous voyez de quoi je parle c’est que vous avez vu les deux premières minutes du film: donc c’est déjà bien. En effet aussi cocasse qu’incongru, l’hymne du PSG n’est autre qu’une reprise d’un tube incontournable des années 90 de Pet Shop Boys  Go west qui commence le film.

      Donc vous avez une idée de la scène d’ouverture, mais qu’est ce qui pourrait vous donner envie de voir les 2h suivantes? Son succès fulgurant à Cannes, son réalisateur chinois incontournable, son 4/5 sur Allociné?  Plus concrètement, ce film est une échappée belle à travers l’histoire de la Chine, de la révolution industrielle à nos jours, sur fond de triangles amoureux et histoires familiales. Le film retrace 25 ans et pourtant passe à toute vitesse sur l’écran.

      Aucune fausse note, aucun raté, aucune scène en trop ou manquante, même si…

…la fin en queue de poisson m’a laissée perplexe… Quand le film ne donne pas les réponses qu’il prétend, j’ai le sentiment que le réalisateur n’ose pas aller jusqu’au bout de son idée. D’un autre côté c’est un peu le point d’encrage du film, le message qu’il transcrit est que la vie n’est jamais aussi simple qu’une fin heureuse ou malheureuse, et que tout est sujet à différentes interprétations.

   Néanmoins c’est souvent la marque de fabrique du cinéma de ce réalisateur.  De manière générale, le cinéma asiatique a ce talent de ne jamais en faire « trop », de ne jamais tomber dans le pathos, et laisser suggérer énormément de chose. Cette pudeur fait du bien dans le moult médiatique permanent auquel nous devons faire face. Le tsunami mensuel des 200 films qui sortent tous les ans, je vise tout particulièrement certains blockbusters qui nous montrent tout: même ce qu’on ne veut pas voir. Ils accompagnent le téléspectateur et lui mâchent le travail sans lui apporter de réflexions, sans le laisser imaginer le pourquoi du comment (oui cliché, mais malheureusement vrai).

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       Au delà des montagnes, c’est l’histoire de deux amis d’enfance qui se disputent les faveurs de Tao. La jeune fille finit par choisir, et s’en suit 25 ans de vie, de croisements, d’espoir, de tristesse, d’occasions manquées, de remises en questions… Une description pas très réjouissante à première vue, et pourtant on ne se sent pas mélancolique ou maussade en sortant ,mais émerveillé par sa  puissance, par sa douceur, ses images et ses paysages merveilleux.

    Les explosifs très présents dans le film contre-carrent la douceur et la lenteur des paysages et de la vie qui passe. Le point d’ancrage du film sur ces 25 années est Fenyang (ville originaire du réalisateur qu’il affectionne toute particulièrement). Une ville modeste mais qui s’inscrit parfaitement dans cette évolution qu’a subit la Chine. Criant de vérité, on réalise que la révolution industrielle a bouleversé comme jamais la société chinoise.

    L’importance de la famille dans une vie joue un rôle primordial. D’après cette histoire, on réalise que l’on n’échappe pas à ses origines, aux liens de sang qui malgré le temps et l’espace sont des attaches qui ne se rompent jamais totalement.( la thématique de la famille et de ses origines est très présentes au cinéma).

   Telles des poupées russes, chaque tableau représentant une période d’années, offre une vision différente de la Chine. Étapes par étapes, les perceptives de changements de vies se rétrécissent. Les personnages sont de plus en plus coincés dans une vie qu’ils imaginaient autrement. Paradoxalement, si l’espace de liberté et d’insouciance des protagonistes se réduit , la Chine, elle,  s’ouvre de plus en plus à l’Occident.

    Les migrations en Chine atteignirent des sommets au début du siècle. Le réalisateur a justement choisi de commencer son histoire en 1999, période où la Chine était encore épargnée des téléphones, d’internet et de la technologie à grande échelle. La révolution industrielle a caricaturalement fait passé des millions de chinois de l’âge de pierre aux temps modernes.

    L’importance des traditions perdurent en Chine, je l’ai moi-même expérimenté en côtoyant étroitement des chinois pendant mon semestre Erasmus. Les étudiants chinois vivants à Hong-Kong ont plus de libertés certes, mais ils reconnaissent que leurs parents et grands-parents sont encore très attachés à tout ce folklore historique et aux traditions …

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    Dans Au delà des montagnes, l’amour, l’ascension de l’élite chinoise, la corruption, les mines de charbon, l’expansion de la ville de Shanghai, les migrations clandestines inter et exter-Chine, les conditions de vies extrêmement pauvres, la guerre avec le Vietnam, les cérémonies kitsch de mariage avec des européens, les cérémonies religieuses (tout aussi kitsch mais plus traditionnelles que celles d’enterrements) : tout y passe. Il s’agit d’une peinture aussi magique que réaliste du pays soleil levant au début du siècle.

   L’idée du voyage transparaît pendant tout le film. Le cinéaste nous transporte à travers les années mais aussi littéralement les protagonistes sont souvent en mouvement : en voiture, à moto, en camion, en train, en avion. On les voit dans ces transports qui symbolisent des étapes essentielles de leur vie. Le mouvement permanent contraste avec la lenteur des scènes. La vie avance, on essaie d’avancer avec elle mais nous ne sommes responsables que de notre moyen de transport, tout le reste relève beaucoup de la chance et du hasard. On ressent réellement la notion du temps qui passe, et la transposition en 2025 est tout à fait crédible. On se sent même privilégié d’en avoir un coup d’œil, d’avoir de l’avance sur la vie des protagonistes et de voir ce qui va leur arriver avant même que ce ne soit produit. Le réalisateur donne sa vision du futur et des conséquences que peuvent prendre des choix que l’on croit anodin sur toute une vie.

     Beaucoup de chinois au début du XXI ont ressenti ce besoin de liberté, de voyage, de changement, de frôler l’interdit. La migration de chinois vers des pays aux institutions moins liberticides a été sans précédent pendant cette période là. Les États-Unis, l’Europe, et même l’Australie  étaient et sont encore des destinations très prisées. Les opposants aux régimes et les « accusés de corruption » fuyaient au même titre vers ces terres promises démocratiques. L’occidentalisation des chinois s’est aussi concrétisée au quotidien sous des aspects qu’on ne suspecterait pas, comme par exemple avoir un chien de compagnie. En effet, dans le film la jeune fille Tao reçoit un chien, chose commune me diriez-vous mais assez novateur pour cette société-ci2. De tous ces changements, des plus conséquents aux plus insignifiants, celui de la langue est un aspect central du film. La langue outil de communication numéro 1 ,avec ses  multiples définitions (pourrait nous dire Karine Bertholot-Guillet), unit ou éloigne, accélère ou ralentit chaque scène, chaque moment, chaque échange,chaque relation… Tout dépend du tempo, tout dépend du sens mais aussi des protagonistes. Dans Au delà des montagnes en effet leur langage corporel, leur regard, leurs mots, peu nombreux mais choisis, leur ton: tout fait sens. De plus leur langue, donc le mandarin, doit faire face à la mondialisation, et beaucoup de natifs chinois qui ont immigré doivent le réapprendre car, faute de pratique ils le perdent.

    Cette rétrospective à travers vingt-cinq années de la vie de ces trois amis d’enfance m’a fait pensé à des films comme Le premier jour du reste de ta vie, ou encore Boyhood . Je suis fan de ces films qui telles de grande épopée  s’écoulent sur des années: sur le long fleuve, « pas très tranquille » de la vie. Et où la famille et les relations sont tout ce qui nous raccrochent à la vie, nous font tenir sur nos pieds et lever le matin.

    Pas très familière avec le cinéma asiatique à part les INEVITABLES films asiatiques d’arts martiaux Tigre et Dragon, Le cercle des poignards disparus, et Hero : mon petit trio fantastique 3, ou encore « In the mood for love », La cité interdite, et aussi Mémoires d’une geisha ( le film chinois le plus américain qui n’ait jamais été réalisé d’après moi, d’ailleurs si le film est très réussi il n’arrive tout de même pas à la cheville du livre qui est d’une fulgurante beauté), je dois néanmoins dire que Au delà des montagnes, reste extrêmement accessible. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce film n’est pas du tout réservé à l’élite cinéphile car c’est une évasion au cœur d’un pays, un voyage en VIP dans la vie d’une jeunesse chinoise des années 2000 qui ne tarde pas en longueur mais juste ce qu’il faut pour en ressortir conquis.

Une dernière anecdote pour finir :

L’année dernière, par je ne sais quel miracle , j’ai eu gratuitement la chaîne TV du Festival de Cannes. Un soir d’insomnie, j’allume et tombe sur un shooting photos : « qui sont ces inconnus au bataillon là, pff Cannes , ils ont des bonnes têtes mais je sens le film élitiste à faire s’endormir même les plus audacieux », et, je m’endors.  Six mois après à peine, pleine d’émotion, je n’arrive pas à parler plusieurs minutes après la fin du film, comme pour tout métrage qui a réussi à me toucher.

Un film qui bouleverse et qui fait réfléchir : que demande le peuple?

 

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Anecdote sur les anecdotes :

Pourquoi les anecdotes?

Car aller voir un film au cinéma c’est un autre engagement que de le regarder en streaming en période d’ennui intense ou dans les bras de sa moitié tranquillement sur le canapé de 23h-01h.

Aller au cinéma c’est une véritable activité à part entière qui nécessite toute son attention ( téléphone interdit, un seul écran : le grand), et Au delà des montagnes c’est un film qui mérite d’être vu complètement attentif. Ce film apporte une peinture aussi magique que véridique. Les critiques sont unanimes et je ne peux que les comprendre, quand on sort d’un bon film on le sent, on le sait. Pas besoin d’en écrire des pages au fond juste de s’asseoir dans un fauteuil rouge confortable et de se laisser porter…

 

Ce film est un hymne à la vie mais pas seulement dans tout ce qu’elle a de beau mais dans tout ce qu’elle a d’insaisissable et d’inévitable. Il démontre que « choisir c’est renoncer ».

 

Anecdotiquement vôtre, Fanny Dolléans

 

 

1 Je ne préfère par révéler comment j’ai reconnu l’air de l’hymne du PSG, et j’invoque le 5ème amendement.

2 Fun fact : Saviez-vous qu’il existe une politique du Chien unique en Chine ?

3 Faut voir ces films absolument les amis,  absolument !

 

 

Pour vous donner une idée de la scène d’ouverture…

https://www.youtube.com/watch?v=KJiMpi7tlMo

VS

https://www.youtube.com/watch?v=ACf5ZYxPqes

 

Magnifique Affiche Asiatique pour le film :

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