Albert Dupontel nous embarque encore une fois dans son monde, quelle tristesse de devoir le quitter.

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En 2013, l’improbable 9 mois ferme avait valu à l’acteur-réalisateur et son équipe bien des honneurs, dont le César du Meilleur Scénario Original en 2014 et celui de la meilleure actrice pour Sandrine Kiberlain. Déjà, son univers loufoque, qui liait des destinées autant différentes que délirantes, nous emportait totalement.
En 2017, c’est à l’adaptation du Prix Goncourt 2013 Au revoir là-haut, de Pierre Lemaître, qu’Albert Dupontel s’attaque. Le synopsis est alléchant et, il faut le dire, l’association d’un Goncourt et de Dupontel promet une assez belle soirée. Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l’un dessinateur de génie, l’autre modeste comptable, décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l’entreprise va se révéler aussi dangereuse que spectaculaire…
Et la soirée fut belle. D’emblée, le film nous amène dans les tranchées de la Première Guerre mondiale : les bruits de bombe sont assourdissants, les combats sont terribles, les ordres sont en retard… Si la guerre n’est pas traitée avec légèreté, Dupontel nous présente très vite les deux personnages que nous allons suivre et sur lesquels se centre alors toute notre attention. Deux soldats, Albert Maillard (Albert Dupontel) un comptable quelque peu naïf et attachant, ainsi qu’Edouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart) un jeune dessinateur qui exprime son mal-être dans ses œuvres. C’est parti.
La guerre est finie. Le duo vit difficilement. Subtilement et sans tomber dans le pathétique, le réalisateur nous montre la difficile réintégration des « gueules cassées », quasi abandonnées à la fin du conflit auquel ils ont participé. Albert ne trouve pas de travail et Edouard, défiguré, se réfugie dans l’addiction. Heureusement, son ami lui rappelle ses fantastiques talents de dessinateur et le pousse à créer et exercer son art pour que son don ne soit pas seulement une manière de représenter la guerre, comme il le faisait dans les tranchées. Bien lui en a pris.
On est alors enchanté par la beauté des masques que revêt Edouard. Ce dernier, bien qu’ayant le visage dissimulé, arrive à nous faire passer chaque émotion. Le jeu d’acteur de Nahuel Pérez Biscayart y est évidemment pour quelque chose. Si dans 120 battements par minute (dans le rôle de Sean), il nous enthousiasmait par la force de son jeu et son engagement, ici, c’est la grâce et la puissance émotionnelle qu’il transmet, qui nous font l’adorer. Que l’acteur argentin reçoive un César en 2018 serait tout sauf étonnant…Le duo qu’il forme avec la jeune Louise nous enchante, cette amitié pure où les protagonistes se comprennent, est magnifiquement interprétée par Nahuel Pérez Biscayart et Héloïse Blaster.
Tous les acteurs entrent pleinement dans leur personnage. Dupontel est forcément attachant dans son rôle de comptable un peu gauche. Laurent Lafitte joue très bien le Lieutenant Henry D’Aulnay-Pradelle, véreux et cupide, aux tendances racistes et misogynes, drôlement détestable. Niels Arestrup est parfait dans son rôle de patriarche dur, le Président Péricourt, mais pour qui la famille passe avant tout. En plus de ces personnages principaux, tout une palette d’acteurs secondaires nous font le plus souvent rire : il y a Labourdin, le maire du VIIIème arrondissement (Philippe Uchan), un idiot suiveur et à la botte de Péricourt (une critique de certains politiciens ?), Madeleine Péricourt (Émilie Dequenne), la sœur de Edouard, Dupré, le collaborateur de Laurent Lafitte (Kyan Khojandi), Pauline, la bonne des Péricourt (Mélanie Thierry)… Ajoutez à cela la mélancolie du Paris des Années Folles et ses très beaux décors, et on est très vite conquis.
In fine, je ne peux que vous conseiller d’aller voir ce film : tout aussi comique que dramatique par la diversité des situations qu’il représente. Le film de guerre peu banal que Dupontel nous offre n’en oublie pas de critiquer le conflit et ses conséquences avec notamment la situation des gueules cassées ou encore les profiteurs de guerre. Sans tomber dans le tragique ou la glorification, les personnages sont dépeints avec sincérité dans l’ultime pied de nez qu’ils font à la mort. En effet, quoi de plus ironique que de monter une arnaque aux monuments aux morts quand on a évité de justesse d’être un de ces morts…

Tom Salvan