3 billboards outside Ebbing, Missouri une dramédie qui vaut de l’or

Des obsessions. De l’humour noir. Du mélodrame. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ce genre de cinéma si bien orchestré : un scénario proche de la perfection, et un jeu d’acteurs qui fait écho à une mise en scène remarquable.

Martin McDonagh, le réalisateur britannique signe ici son troisième long métrage, incontestable chef d’oeuvre grâce à la justesse du cadre et la sincérité de la narration. Il faut le voir, pour le croire et alors comprendre pourquoi ce film a raflé quatre Golden Globes.

Dans ce mélodrame, le réalisateur dresse le portrait d’une femme, révoltée contre la police qui n’avance pas dans l’enquête de l’assassinat de sa fille dans une petite ville du Missouri. Loin d’être une vengeance comme pourrait le supposer le titre français, cette mère de famille clame haut et fort son désir de justice, une volonté enragée de faire changer les choses dans cette Amérique profonde qui peine à être fréquentable.

Sept mois après le drame, Mildred Hayes (Frances McDormand) décide de manifester sa colère. Elle loue alors trois grands panneaux abandonnés à l’entrée de la ville sur lesquels elle installe des affiches : trois messages en lettres noires sur fond rouge. Sur ces dernières, Mildred attaque notamment le chef de la police locale. « Raped while dying, and still no arrests? How come, Chief Willoughby? » (“Violée agonisante, et toujours pas d’arrestation? Comment est-ce possible Chef Willoughby ?”)

L’image de la police locale malmenée

 Juste après l’installation de ces affiches, la violence et la haine vont se déchaîner. Le geste de l’affichage de ces panneaux est oraculaire, blasphématoire et laconique, il va au fur et à mesure cristalliser des situations inédites. Il est l’événement déclencheur qui fait exploser toutes les tensions enfouies.

Le réalisateur nous présente alors dès les premiers instants, une société crispée dans laquelle la police représente un entre soi composé dans sa totalité d’hommes blancs oisifs. La torture, le racisme et l’homophobie ne sont aucunement tabous et au contraire bien adoptés. Dans ce drame psychologique, Martin McDonagh parvient à dépeindre à la fois le caractère indispensable de la police mais aussi ses pires travers. Ici, réside son génie.

Dans une mise en scène sobre et réaliste, le cinéaste nous dépeint l’état de l’Amérique profonde du Midwest : l’état de sa police, de ses habitants, de ses mentalités. En effet, si l’on en croit Mildred Hayes, « It seems to me the police department is too busy torturing black folks to solve actual crime.” (“La police me semble trop occupée à torturer des noirs au lieu de résoudre des crimes.”)

Une mère faillible confrontée au deuil et à l’injustice

Mildred Hayes a une personnalité complexe, elle a deux visages. Elle est une femme bulldozer qui ne contrôle pas ses émotions et peut facilement devenir violente, mais aussi une femme empathique et poignante. Son combat est légitime, elle tente de lutter contre une justice inactive et des mentalités conservatrices. Cependant, il ne faudrait pas l’oublier, ses réactions les plus violentes sont liées inévitablement au deuil acide et à la culpabilité dont elle souffre face à la mort de sa fille.

Par ailleurs, cette femme est abandonnée de tous, par son mari, par la justice qui ne la soutient pas et elle est incomprise par son fils. Elle n’a d’autre recours que de faire entendre sa voix, ce pourquoi elle en devient fulminante et incendiaire. Elle apparaît systématiquement avec un visage violenté, marqué par le deuil et rongé par la colère, l’actrice est épatante. Elle représente la femme actuelle, la femme imparfaite mais forte qui prend en main son destin contre l’omniprésent pouvoir masculin.

Elle est l’autorité tout au long du film, elle gagne tous les « duels » marqués notamment par de magnifiques champs/contre-champs où elle occupe une place de supériorité.

Le thème de la mère ne se résume pas au rôle de Frances McDormand. L’âme du scénario offre une place centrale aux mères : celle de l’officier Dixon (Sam Rockwell) et la femme du chef de la police. La narration s’appuie donc sur ces mères, les piliers de cette micro société, elles font à elles seules avancer l’histoire.

Un humour noir à en perdre la tête

Acide, malvenu, et pourtant nécessaire et subtil, l’humour occupe une place importante dans ce long métrage qui accorde au spectateur d’indispensables moments d’échappatoire. Le réalisateur nous trimbale dans tous les sens et joue avec nos émotions. Un moment de rires peut être secondé par une scène à glacer le sang.

L’humour permet également de servir le scénario à merveille en accompagnant l’orchestration des changements de personnalités des individus. En effet, alors qu’au début, tous les habitants paraissent violents, stupides et racistes, au fur et à mesure les mentalités évoluent, en même temps que le spectateur apprend à connaître les personnages.

Tous ceux que l’on trouvait odieux à première vue, le sont moins à la fin. Notre impression sur les personnages change, selon le critique Philippe Rouyer « c’est à la fois du Shakespeare et du burlesque ». C’est la magie Martin McDonagh magnifiquement épaulée par une bande-originale signée Carter Burwell.

Martin McDonagh, dans ce chef d’œuvre, nous raconte finalement, sans jamais prendre parti, comment les individus tentent de changer les choses, d’intervenir, de protéger.

Malgré toute la haine et la violence qu’il peut sembler dégager, ce long métrage est profondément poétique et humain.

Martin McDonagh, merci.

 

Pauline Tastet

Sources :